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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

telligence et l’Un, avait mis un nouveau degré, celui de l’Être ; que Damascius voulait un Dieu suprême, supérieur à l’Un, et qui fût encore moins défini.

Par une élaboration toute semblable, la ὕλη, d’Avicenne est devenue la Matière universelle d’Avicébron.

La méthode d’Avicébron est l’aboutissant logique de celle dont les Néo-platoniciens ont usé d’une manière partielle et plus ou moins inconsciente ; elle consiste à établir une exacte correspondance mitre la classification selon laquelle le logicien dispose les notions et la hiérarchie suivant laquelle le métaphysicien subordonne des êtres les uns aux autres ; toutes les fois que le logicien distingue deux notions par leurs caractères différents, et, d’autre part, les rapproche par un caractère commun, toutes les fois qu’il fait, de ces deux notions, des cas particuliers d’une notion plus générale, le métaphysicien doit, dans sa hiérarchie, placer deux êtres distincts où se réalisent les deux notions différenciées, et aussi un être unique, plus élevé que les deux précédents, où se réalise la notion commune.

Cette correspondance exacte entre les subdivisions que le logicien pratique parmi les notions et la gradation que le métaphysicien établit parmi les êtres, c’est le principe qui domine toute la philosophie d’Avicébron ; nous l’y verrons sans cesse appliqué. Il n’est, d’ailleurs, que l’aboutissant extrême, mais naturel, du Platonisme, puisque cette philosophie réalise l’idée, c’est-à-dire le caractère commun à tous les individus d’une même espèce.

Ce principe ne demeure pas simplement à l’état latent dans la philosophie d’Ibn Gabirol ; celui-ci le formule de la manière la plus nette : « Tout être composé, dit-il[1], que l’intelligence divise et résout en autre chose, est réellement composé de ce en quoi il est ainsi résolu. Quicquid compositorum intelligentia dividit et resolvit in aliud, est compositum ex illo in quod resolvitur. »

C’est ce réalisme extrême qui conduit l’auteur du Fons vitæ à donner une matière même aux substances spirituelles.

En attribuant une matière aux substances spirituelles, Avicébron se trouve débarrassé d’une difficulté qui a préoccupé une foule de Péripatéticiens,

La notion de forme, pour la plupart des philosophes péripatéticiens, se confond avec la notion d’espèce. Dans tous les êtres de même espèce se trouve la même forme. La forme de l’humanité est unique et se rencontre identique en tous les hommes. Si les

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract, II. cap. 16. p. 51.