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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

rent pas d’abord, dans leurs propositions, à ce qui est manifeste dans l’être, mais ils considéraient comment l’être devait exister pour qu’il pût servir à prouver la vérité de leur opinion ou, du moins, ne pas la renverser. Cet être imaginaire une fois établi, ils déclarèrent que l’être est de cette manière ; et ils se mirent à argumenter pour confirmer ces hypothèses d’où ils devaient prendre les propositions par lesquelles leur système pût être confirmé ou mis à l’abri des attaques. Ainsi firent même les hommes intelligents qui, les premiers, suivirent ce procédé…

» Telle est la méthode de tout Motécallem d’entre les Musulmans dans ce genre de questions ; et il en est de même de ceux qui les ont imités parmi nos coreligionnaires et qui ont marché dans leurs voies. Quant à leurs manières d’argumenter et aux propositions par lesquelles ils établissent la nouveauté du Monde ou en nient l’éternité, il y en a de variées : mais la chose qui leur est commune à tous, c’est d’établir tout d’abord la nouveauté du Monde, au moyen de laquelle il est avéré que Dieu existe.

» Quand donc j’ai examiné cette méthode, mon âme en a éprouvé une très grande répugnance, car elle mérite, en effet, d’être repoussée ; car tout ce qu’on prétend être une preuve de la nouveauté du Monde est sujet au doute, et ce ne sont là des preuves décisives que pour celui qui ne sait pas distinguer entre la démonstration, la dialectique et la sophistique. Mais pour celui qui connaît ces différents arts, il est clair et évident que toutes ces démonstrations sont douteuses, et qu’on y a employé des prémisses qui ne sont pas démontrées.

» Le terme jusqu’où pourrait aller, selon moi, le théologien qui cherche la vérité, ce serait de montrer la nullité des démonstrations alléguées par les philosophes pour l’éternité du Monde ; et combien ce serait magnifique si l’on y réussissait ! En effet, tout penseur pénétrant qui cherche la vérité et ne s’abuse pas lui-même sait bien que cette question, je veux dire celle de savoir si le Monde est éternel ou créé, ne saurait être résolue par une démonstration décisive, et que c’est un point où l’intelligence s’arrête… Or, puisqu’il en est ainsi de cette question, comment donc la prendrions-nous pour prémisse en vue de construire la preuve de l’existence de Dieu ?… Selon moi, au contraire, la manière véritable, c’est-à-dire la méthode démonstrative dans laquelle il n’y a pas de doute, consiste à établir l’existence de Dieu, son unité et son incorporalité par les procédés des philosophes, lesquels procédés sont fondés sur l’éternité du Monde. Ce n’est pas que je croie l’éternité du Monde ou que je leur fasse