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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

nions fondées sur certaines propositions, lesquelles sont empruntées aux écrits des Grecs et des Syriens, qui cherchaient à contredire les opinions des philosophes et à critiquer leurs paroles, Et cela pour la raison que voici : Lorsque l’Église chrétienne, dont on connaît la profession de foi, eut reçu dans son sein ces nations, parmi lesquelles les opinions des philosophes étaient répandues, — car c’est d’elles qu’est émanée la Philosophie, — et qu’il eut surgi des rois qui protégeaient la Religion, les savants de ces siècles, parmi les Grecs et les Syriens, virent qu’il y avait là des assertions avec lesquelles les opinions philosophiques se trouvaient dans une grande et manifeste contradiction. Alors naquit parmi eux cette science du calâm, et ils commencèrent à établir des propositions profitables pour leur croyance, et à réfuter ces opinions qui renversaient les bases de leur religion. Et lorsque les sectateurs de l’Islamisme eurent paru et qu’on leur transmit les écrits des philosophes, on leur transmit aussi ces réfutations qui avaient étaient écrites contre les livres des philosophes. Ils trouvèrent donc les discours de Jean le Grammairien, d’Ibn’Adi[1] et d’autres encore, traitant de ces matières ; et ils s’en emparèrent dans la pensée qu’ils avaient fait une importante trouvaille. Ils choisirent aussi dans les opinions des philosophes anciens tout ce qu’ils croyaient leur être utile, bien que les philosophes plus récents en eussent démontré la fausseté, comme, par exemple, l’hypothèse des atomes et du vide… Ensuite le calât s’étendit, et on entra dans d’autres voies extraordinaires, dans lesquelles les Motécallémîn grecs et autres ne s’étaient jamais engagés ; car ceux-ci étaient plus rapprochés des philosophes. Puis il surgit encore, parmi les Musulmans, des doctrines religieuses qui leur étaient particulières et dont il fallait nécessairement prendre la défense ; et, la division ayant encore éclaté parmi eux à cet égard, chaque secte établit des hypothèses qui pussent lui servir à défendre son opinion…

» En somme, tous les anciens Motécallémîn, tant parmi les Grecs devenus chrétiens que parmi les Musulmans, ne s’attachè-

  1. « Abou-Zacariyya Ya’hya Ibn’Adi, chrétien jacobite, de Tecrit en Mésopotamie, vivait à Bagdad au xe siècle. Il était disciple d’Al Farâbi, et se rendit célèbre par ses traductions arabes de plusieurs ouvrages d’Aristote et de ses commentateurs… Ibn’ Adi composa aussi des écrits théologiques, où il cherchait à mettre d’accord la Philosophie avec les dogmes chrétiens ; ainsi, par exemple, il voyait dans la Trinité l’unité de l’intellect, de l’intelligent et de l’intelligible… Il paraîtrait que Maïmonide ne connaissait pas bien l’époque à laquelle avait vécu Ibn’Adi et qu’il le croyait plus ancien, puisqu’il semble supposer que les premiers Motécallémîn musulmans avaient puisé dans ses écrits. » (S. Munk, loc, cit., p. 341, note 2).