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MOÏSE MAÏMONIDE ET SES DISCIPLES

qu’il adopte, sans pouvoir les démontrer, mais qui renferment de grandes invraisemblances, des erreurs évidentes et manifestement répandues parmi les nations, et de mauvaises doctrines qui se sont divulguées.

» Il ne faut pas me critiquer pour avoir fait ressortir les doutes qui s’attachent à son opinion. Est-ce bien par des doutes, me diras-tu, qu’on peut détruire une opinion ou établir l’opinion opposée ? Certes, il n’en est point ainsi ; mais nous agissons avec ce Philosophe comme ses sectateurs nous ont recommandé d’agir avec lui. En effet, Alexandre a déjà exposé que, toutes les fois qu’une chose n’est pas susceptible d’être démontrée, il faut poser (successivement) les deux hypothèses contraires, voir quels sont les doutes qui s’attachent a chacun des deux cas opposés, et admettre celui qui offre le moins de doutes… Et c’est là que ce nous avons fait. Après qu’il nous a été avéré que, dans la question de savoir si le Ciel est né ou éternel, aucune des deux hypothèses opposées ne saurait être démontrée, et après avoir exposé les doutes inhérents à chacune des deux opinions, nous t’avons montré que l’opinion de l’éternité du Monde est celle qui offre le plus de doutes et qu’elle est très dangereuse pour la croyance qu’il faut professer à l’égard de Dieu. »

En face de la Métaphysique d’Aristote, l’attitude sceptique et critique de Maïmonide ressemble-t-elle le moins du monde à l’attitude servilement admiratrice d’un Averroès ?

Ce n’est pas, tant s’en faut, que le docte Rabbin veuille s’engager dans la voie suivie par les Motékallémîn musulmans et travailler, comme Al Gazâli, à la destruction de la Philosophie ; loin de là. La position qu’il va prendre à l’égard de ces théologiens, il la détermine[1] aussi nettement que celle d’où il veut considérer la Philosophie d’Aristote : « Quant aux Andalous de notre communion, ils sont tous attachés aux paroles des Philosophes et penchent vers leurs opinions, en tant qu’elles ne sont pas en contradiction avec un article fondamental de la Religion ; et tu ne trouveras point qu’ils marchent, sous un rapport quelconque, dans la voie des Motékallémîn. C’est pourquoi, dans le peu de choses qui nous reste de leurs auteurs modernes, ils suivent, sous beaucoup de rapports, à peu près le système adopté dans ce traité.

» Il faut savoir que tout ce que les Musulmans, tant Motazales qu’Ascharites, ont dit sur les sujets en question, ce sont des opi-

  1. Moïse Maïmonide, Op. laud., Première partie, ch. LXXI ; trad. S. Munk, t. I, pp. 338-349.