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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

à s’y méprendre les dogmes de l’Église catholique ; si voisines du Christianisme sont leurs pensées sur la divine Trinité et sur la création que, parmi les Juifs, l’étude du Zohar a déterminé de nombreuses et fréquentes conversions au Catholicisme[1].

Faut-il, avec Ad. Franck, juger que ces étroites ressemblances ne sont pas la marque d’une mutuelle influence entre les doctrines qu’elles rapprochent ? Que les auteurs du Zohar ont tout, ignoré du Néo-platonisme alexandrin ? Qu’à renseignement orthodoxe de l’Église catholique, ils n’ont pas fait d’emprunt ? Que les seules sectes plus ou moins apparentées au Christianisme dont il les faille rapprocher sont les Gnostiques et les Nazaréens ? Enfin que tout ce qui, dans leurs idées, n’est pas proprement et authentiquement juif leur vient d’Orient et leur est inspiré par l’esprit de l’Avesta ? Une semblable thèse nous paraît avoir quelque chose d’une gageure.

L’influence directement exercée par le Plotinisme sur certaines pensées du Zohar nous semble difficile à nier. Ce que les rabbins kabbalistes ont dit de l’amour est trop conforme à l’enseignement de Denys, ce qu’ils ont enseigné sur l’existence idéale du Monde en Dieu, sur la création des choses par le Verbe rappelle de trop près la philosophie de Saint Augustin et de l’Érigène, leur doctrine de la Trinité s’efforce trop visiblement de s’assimiler les définitions des conciles, pour que la doctrine chrétienne n’ait pas eu sa part dans la formation de leur Théologie.

Mais au delà de cette affirmation, que le sentiment nous dicte sans que la raison critique, nous permette de la justifier par le détail, il est malaisé de pousser. Nous ignorons trop complètement le nombre, la nature, la date des diverses pièces qui ont été soudées, remaniées, commentées en vue de composer le Zohar ; nous ne saurions dire à quel moment ni par quelle voie les pensées néo-platoniciennes ou chrétiennes ont pu s’infiltrer dans cet édifice.

En 1409, le rabbin Moïse Botril disait, dans son commentaire sur le Sepher ietzirah[2] : « La Kabbale n’est pas autre chose qu’une philosophie plus pure et plus sainte ; seulement le langage philosophique n’est pas le même que celui de la Kabbale. »

Des propositions bien différentes peuvent exprimer, en effet, une même pensée. S’agit-il de déclarer que deux substances, dont l’une est supérieure à l’autre, s’associent pour ne plus former qu’un seul être ? Le Zohar fait appel à des comparaisons variées.

  1. Ad. Franck, La Kabbale, 3e éd., pp. 255-256.
  2. Cité par Ad. Franck, La Kabbale, 3e éd., p. 95.