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LA KABBALE

tournent deux cent-vingt roues. La roue qui est au dessus de la colonne et qui embrasse douze mille mondes tourne autour du Tabernacle, mais ne tourne pas autour d’elle-même. Il en résulte que le Tabernacle céleste est fondé sur douze mille mondes. Une voix retentit dans le Tabernacle céleste et fait entendre ces paroles : Que ceux qui ont les yeux dessillés contemplent cette roue qui tourne, et ils comprendront la Sagesse de leur Maître ; ils connaîtront les choses d’en haut servant de clef à ouvrir les portes qui conduisent au Maître, et ils connaîtront les mystères du Tabernacle sacré. Heureux le sort de ces hommes dans ce monde et dans le monde futur ! »

Ce passage inspire à Jean de Pauly la réflexion que voici[1] : « À part des données obscures, telles que la colonne, les pierres de l’abîme etc., cette Tossefta est une description astronomique des plus exactes. Nous y voyons la théorie de l’attraction, de la rotation et de la révolution des planètes sous le nom de roues.

Les données que Pauly déclare obscures sont, à notre avis, ce que ce texte offre de moins ambigu. Dans cette colonne qui va jusqu’au plus profond de l’abîme, nous devons, croyons-nous, reconnaître la Colonne sur laquelle les deux Mondes sont fondés, la Colonne du milieu, le Verbe. Un autre texte[2] nous montre cette colonne dressée depuis le Paradis d’en bas, séjour des âmes justes, jusqu’au Paradis d’en haut. Du Paradis d’en haut, les âmes ont été charriées vers le Paradis d’en bas par les rayons de la Lumière. « Pour remonter au Paradis d’en haut, les âmes s’attachent à la Colonne du milieu. » Ce sont sans doute ces âmes que la précédente allégorie désigne sous le nom de pierres de l’abîme.

En revanche, nous serions bien embarrassés de dire ce qu’y figure la roue qui embrasse douze mille mondes, qui ne tourne pas sur elle-même mais autour du Sanctuaire. Il faut, croyons-nous, une singulière dose de bonne volonté pour reconnaître, dans ces images étranges, « une description astronomique des plus exactes », pour y découvrir « la théorie de l’attraction, de la rotation et de la révolution des planètes ». Nous n’y pouvons voir qu’un symbolisme compliqué dont la signification nous échappe, mais qui ne paraît, en tout cas, nullement soucieux d’Astronomie ; et lorsque, dans cette déconcertante description, nous entendons parler « des roues qui font tourner la Terre en cercle et autour d’elle-même », nous croirions fort imprudent d’en conclure que les Kabbalistes admettaient la rotation diurne de la Terre.

  1. Zohar, t. VI, p. 393, note 1463.
  2. Zohar, II, foll. 210b et 211a ; t. IV, p. 219.