Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
AVICÉBRON

en laquelle la Corporéité se trouve comprise à titre particulier.

Ici s’arrêterait un disciple d’Avicenne ; ici s’arrête, par exemple, Al Gazâli ; avec une irrésistible puissance, la Logique d’Ibn Gabirol poursuit les conséquences des prémisses qui ont été posées[1].

Puisque la Corporéité est comprise, à titre de forme plus particulière, au sein de la Forme absolument universelle, c’est donc que celle-ci contient en elle non seulement la Corporéité, c’est-à-dire l’ensemble des formes qui ne peuvent subsister que dans un corps, mais aussi les formes qui subsistent hors des corps.

Puisque, pour devenir Corps, la Matière universelle a besoin de la détermination particulière que lui apporte la Corporéité, c’est donc qu’elle représente un fonds commun à ce qui est corps et à ce qui n’est pas corps.

Or, ce qui n’est point corps est esprit. Donc la Forme universelle contient en elle toutes les formes, aussi bien celles des substances spirituelles que celles qui subsistent en des corps. Donc — et c’est une des affirmations les plus audacieuses d’Avicébron — la Matière universelle est la commune Matière des substances corporelles et des substances intellectuelles[2] ; car les substances intellectuelles, même les plus simples[3], ne sont ni pure matière ni forme pure ; elles sont composées de matière et de forme.

Nous reviendrons dans un instant, pour l’examiner de plus près, sur cette proposition qui semble étrange en sa nouveauté : Les intelligences mêmes sont composées de matière et de forme. Poursuivons, pour le moment, la description de la Matière universelle et de la Forme universelle.

Que sera cette Forme universelle ? Elle devra consister en déterminations si générales que tous les caractères propres à distinguer les choses les unes des autres s’y trouvent compris comme cas particuliers. Or ces déterminations universelles dont toutes les autres ne sont que des spécialisations, Aristote nous apprend à les distinguer ; ce sont les catégories, les prædicamenta. La Forme universelle ne sera donc pas autre chose que l’ensemble des catégories. « Les neuf prédicaments, dit Ibn Gabirol[4], voilà la Forme universelle ; novem prædicamenta sunt forma universalis. »

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. II, cap. 8, p. 38.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. I, cap. 8, p. 38. — Tract. IV, cap. 7, pp. 226-227.
  3. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. IV, cap. I, pp. 211-213.
  4. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. II, cap. 6, p. 35. — Cf. Tract. II, cap. 9, p. 40 ; tract. II, cap. 13, p. 45.