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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

les mots : « Et les détruit » ? D’abord le Saint (béni soit-il !) ne détruit jamais l’œuvre de ses mains. Et, qui plus est, l’Écriture dit des cieux : « Car les cieux disparaîtront comme la fumée, et la terre s’en ira en poudre comme un vêtement usé ; et ceux qui l’habitent périront avec elle, » De ce verset, il résulterait non seulement, que Dieu détruit les mondes déjà créés à la suite de la colère ressentie contre les êtres qui les habitent, mais encore que le Saint (béni soit-il !) crée et détruit systématiquement ! »

Cette tradition, donc : « Le Saint (béni soit-il !) crée des mondes et les détruit » doit être interprétée dans un sens allégorique. La Kabbale semble l’avoir entendue de la manière suivante :

Les mondes détruits symbolisent les idées qui résidaient, avant la création, au sein de la divine Sagesse. « Malheur[1] aux hommes qui ne savent pas qu’à l’heure où se présenta à la Pensée du Saint (béni soit-il !) l’idée de créer son Monde, sa Pensée embrassait à la fois tous les mondes, et que c’est par cette Pensée seule que tous les mondes furent créés… C’est par cette Pensée, qui est aussi la Sagesse, que furent créés et ce Monde-ci, et le Monde céleste. »

Ces idées ne pouvaient subsister hors de Dieu tant que le Verbe n’avait pas été engendré ; lors de la génération du Verbe, qui devait être le Commencement de la Création, qui devait unir le Saint son père avec la Lumière, avec la Communauté d’Israël sa mère, et, par là, le Monde d’en haut avec celui d’en bas, les choses reçurent l’existence réelle, et leurs modèles n’eurent plus en partage l’existence purement idéale qui était, auparavant, leur seul apanage.

Telle est l’explication que semblent proposer, sous forme enveloppée, les phrases suivantes[2] :

« La vérité est que le Saint (béni soit-il !) a créé le Monde en y joignant la doctrine ésotérique exprimée dans le mol Bereschith

C’est par cc Commencement que Dieu créa le ciel et la terre, qui sont fondés sur l’Alliance (Berith) dont les lettres se retrouvent dans le mot Bereschith… Ainsi Dieu créa le ciel et la terre après avoir détruit les mondes préexistants et les avoir réduits à l’état de thohou, parce que l’Alliance, qui seule soutient les mondes, n’était pas encore faite. »

La même interprétation est proposée par l’Idra zouta en termes qui paraîtront plus clairs, surtout si l’on veut bien se souvenir que les idées dont le Monde d’en haut est peuplé sont toujours figurées par des étincelles jaillies de la divine Lumière.

  1. Zohar, II, fol. 20a ; t. V, p. 97.
  2. Zohar, I, fol. 24b et 25a ; t. V, p. 153.