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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

ressemblance, dérivent, d’une forme plus élevée qui garde ce que les deux premières avaient de commun et délaisse ce qui les séparait. Les formes des choses particulières naturelles ou artificielles dérivent des formes générales des éléments ; celles-ci dérivent de la Forme générale susceptible de s’engendrer et de périr ; cette dernière, avec la Forme céleste, dérive de la Forme universelle des choses sensibles.

Ainsi, par deux opérations dichotomiques absolument semblables, les matières et les formes de toutes les choses sensibles particulières se trouvent reliées à une Matière unique [1], qui est le Corps en soi, et à une Forme unique qui se peut ainsi définir : Tout ce qui subsiste en un corps (onmnia quæ sustinentur in corpore).

Toujours à la suite d’Avicenne, Avicébron va, plus avant encore, pousser son analyse [2].

La matière à laquelle nous venons de parvenir, c’est le Corps, dépouillé par abstraction de tous les accidents sensibles, tels que la figure et la couleur, qui le peuvent déterminer ; cette matière, cependant, n’est pas encore au dernier degré de l’indétermination ; elle présente un caractère, celui qu’exprime le mot corps et qui lui assigne longueur, largeur et profondeur ; ce caractère constitue encore une forme. Au-dessous du Corps, par conséquent. l’esprit conçoit un fonds plus indéterminé, auquel la qualification même de corps ne convient plus.

De même, la Forme universelle des choses sensibles n’est pas la plus générale qui se puisse concevoir, puisque les formes particulières qu’elle comprend en elles sont encore assujetties à une condition, celle de ne pouvoir subsister que dans un corps [3].

Ainsi, au-dessous de la Matière universelle des choses sensibles, qui est le Corps, nous concevrons une matière plus indéterminée, qui n’est pas corps, et qui doit, pour produire la Matière sensible universelle, recevoir cette détermination, cette forme qu’est la Corporéité. Et d’autre part, Forme universelle des choses sensibles, forme qui comprend en elle tout ce qui petit subsister dans un corps, la Corporéité doit, à son tour, être comprise en une forme plus générale. Nous voici donc arrivés à concevoir la Matière absolument universelle, qui devra être déterminée par la Corporéité pour devenir le Corps, c’est-à-dire la Matière sensible universelle ; à concevoir aussi la Forme absolument universelle,

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. I, cap. 17, p. 22.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. II, cap. 1, pp. 23-26.
  3. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. II, cap. 17, p. 26-27.