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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

À cette doctrine, Denys et la Théologie d’Aristote opposaient un enseignement tout diiférent. L’indigent désire être rassasié et il aime le riche qui comblera ses désirs ; mais le riche, à son tour, éprouve le besoin de distribuer les biens qu’il possède en surabondance. et il aime le pauvre sans lequel il n’en pourrait faire largesse. L’être en puissance désire et aime l’être en acte grave auquel, à son tour, il sera mis en acte ; mais, de son côté, l’être en acte désire et aime l’être en puissance faute duquel il ne pourrait manifester l’énergie dont il est doué. L’amour n’est pas unilatéral ; il est réciproque ; c’est un mouvement de va-et-vient : à tout amour qui monte correspond un amour qui descend.

Cette doctrine de l’amour, enseignée par Denys et par la Théologie d’Aristote, est aussi celle que professent les Kabbalistes ; et connue s’ils voulaient éviter d’être pris pour disciples du Stagirite ou d’Avicenne, c’est au mouvement descendant de l’amour que leur méditation s’attache le plus souvent et avec le plus de force.

Voici un passage[1] où le Zohar formule cette théorie de l’amour en termes qu’on croirait empruntés à la Théologie d’Aristote :

« Les deux Lumières de l’Essence divine ont ceci de particulier que l’une, la Lumière active, est mâle, et que l’autre, la Lumière passive, est femelle. Et lorsque, unies dans la Colonne du milieu, la Lumière mâle comble de son excédent d’activité la lacune formée par la passivité de la Lumière femelle. L’équilibre s’établit. Et toutes les fois que l’équilibre s’établit entre activité et passivité, cet équilibre fait les délices de l’être qui donne son excédent et de l’être qui le reçoit pour combler son passif ; et de ces délices naît un troisième être. De même, l’union des deux lumières célestes a provoqué une joie immense : et de cette joie immense émana une troisième lumière formant la base des mondes et appelé Augmentation (Moussaph) ».

Le supérieur, donc, aime et désire l’inférieur ; le mâle recherche la femelle. Le Zohar se plaît à répéter cette affirmation, si contraire à la doctrine péripatéticienne.

« Partout, dit-il[2], c’est le mâle qui court après la femelle et l’informe de son amour, alors que, dans le Cantique des cantiques, nous voyons la femelle courir après le mêle ; ce n’est pourtant pas louable à la femelle de courir après le mâle ! »

« C’est l’usage[3] que l’homme cherche la femme. Ceci est com-

  1. Zohar, I, fol. 17a ; t. I, p. 102.
  2. Zohar, I, fol. 245a ; t. II, p. 570. Zohar, I, fol. 264a ; t. II, pp. 622-623.
  3. Zohar, I, fol. 264a ; t. II, pp. 622-623.