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AVICÉBRON

toutes les choses naturelles ou artificielles que contient l’orbe de la Lune, c’est la matière au sein de laquelle se produit toute génération et toute corruption : souvent lbn Gabirol lui réserve le nom de Hyle.

Elle correspond bien, en effet, à la πρώτη ὕλη d’Aristote ; elle correspond aussi à ce qu’Al Gazâli nommera Matière ; la Hyle d’Al Gazâli, au contraire, est homologue de ce qu’Avicébron va décrire sous le nom de Matière universelle ; ainsi, entre les deux langues que parlent ces métaphysiciens, les sens des mots Hyle et Matière se trouvent intervertis.

Les êtres soumis à la génération et à la corruption ne sont pas, à eux seuls, tout ce que nous présente la nature ; à côté d’eux, il y a les corps célestes[1] ; aux corps célestes, donc, il faut aussi une commune matière, distincte de celle qui peut être le siège de la génération et de la corruption ; c’est la Matière céleste. Aristote, en son analyse, ne dépassait pas ce point ; c’est même a peine s’il l’atteignait, puisqu’il n’osait pas affirmer que les corps célestes eussent une matière.

À la suite d’Avicenne, Ibn Gabirol va pousser plus avant. Non seulement aux choses célestes il attribue une matière comme il en donne une aux choses qui naissent et périssent, mais ces deux matières, il ne les regarde pas comme simples et irréductibles ; au-dessous d’elles, on peut encore trouver un fonds plus indéterminé qui leur soit commun.

Les choses que composent les éléments, aussi bien que les astres et leurs orbes, ont ceci de commun que ce sont des corps[2] ; la matière des choses qui naissent et périssent, aussi bien que la matière céleste, est une matière corporelle ; ces deux matières sont donc des déterminations particulières d’une matière plus générale qui possède le seul caractère d’être corps ; le Corps, pris sans aucune détermination, si ce il est celle qu’implique ce mot, est donc la Matière universelle des choses sensibles.

D’ailleurs, ce travail intellectuel par lequel l’abstraction, au-dessous de deux matières distinctes mais marquées d’un caractère commun, conçoit une troisième matière, plus générale et plus indéterminée, une matière où disparaît tout ce qui différenciait les deux premières, où le caractère commun à celles-ci subsiste seul, ce travail, disons-nous, Ibn Gabirol l’accomplit également sur la forme[3]. Deux formes qui, tout en étant différentes, ont une

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. I, cap. 17, pp. 20-22.
  2. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. I, cap. 17, p. 22.
  3. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. I, capp. 15, 16, 17 ; pp. 19-22.