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LA KABBALE

» La troisième Âme est celle des justes d’ici-bas. Ces dernières âmes émanent des Ames suprêmes, l’Âme femelle et l’Âme mâle…

» Le Saint (béni soit-il !) a eu un Fils de la Matrona. Et qui est ce Fils ? C’est l’Âme suprême et sacrée. »

On ne saurait indiquer plus clairement que les âmes des justes ne font qu’un avec la troisième hypostase de la Trinité divine.

De cette troisième hypostase divine, les auteurs du Zohar faisaient ainsi une sorte d’Âme du Monde, de laquelle émanaient tous les esprits et toutes les âmes du monde matériel.

« Des deux Lumières de l’Essence divine, disaient-ils encore[1], la Lumière active est mâle et la Lumière passive est femelle… L’union des deux Lumières célestes a provoqué une joie immense ; et de cette joie immense émana une troisième Lumière formant la base tics mondes et appelée Augmentation (Moussaph). C’est de cette dernière lumière qu’émanent toutes les puissances inférieures, tous les esprits et toutes les" âmes saintes. »

Les Kabbalistes enseignaient donc parfois, sous une, forme tantôt plus claire et tantôt plus voilée, une doctrine monopsychite analogue à celle des Néo-platoniciens hellènes et arabes. Réellement distincts lorsqu’ils adhéraient à des corps, les esprits et les âmes émanaient de la troisième hypostase divine, de la Lueur ; et au sein de cette Lueur, ces esprits n’étaient pas réellement distincts ; ils n’existaient que d’une manière idéale et virtuelle.

Mais la plupart du temps, les Kabbalistes se montraient fort peu préoccupés de ce mode d’existence des esprits au sein du monde invisible. De ces âmes, de ces anges, ils parlaient comme ils l’eussent fait d’êtres réels, réellement distincts de Dieu et distincts les uns des autres. Ainsi en est-il dans les divers passages où ils nous montrent les chefs célestes qui gouvernent le monde inférieur.

Le gouvernement du monde matériel par le monde immatériel ne se fait pas toujours par commandement direct ; souvent l’ordre se transmet en descendant une hiérarchie de chefs. En effet, « les degrés dans les œuvres de Dieu[2] sont nombreux et différents les uns des autres. »

Les chefs célestes chargés de gouverner la terre et tout ce qu’elle renferme n’opèrent point directement ; ils agissent par l’intermédiaire des cieux visibles.

À chacun désastres visibles, un ange est préposé ; c’est cet ange qui transmet aux êtres terrestres les ordres du chef céleste :

  1. Zohar, I, fol, 17a ; t. I, p. 102.
  2. Zohar, II, fol, 144b ; t. IV, p. 58.