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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

que virtuellement, par leur nom seulement ; leur existence réelle ue pouvait se manifester qu’après l’apparition de Dieu à travers le nuage, à travers le voile. Nous a vons appris, en outre, que lorsqu’il a plu à la Volonté suprême de créer la Loi qui était cachée, deux mille ans avant la création du Monde, celle-ci lui dit : Celui qui veut établir quelque chose doit commencer par établir son propre être. »

Dans cette Loi cachée, antérieure de deux mille ans à la création du Monde, il nous faut reconnaître, sans doute, la divine Sagesse et le monde idéal qu’elle renferme.

« Lorsqu’il a plu au Saint (béni soit-il !) de créer le Monde, il regarda la Loi[1] et forma toutes les œuvres de la création sur le plan de la Loi… Au moment de créer l’homme, le Saint (béni soit-il !) dit au Monde : Monde, Monde, sache que toi, ainsi que les lois qui te régissent, vous ne subsistez, que par la Loi. »

Cette doctrine de la création par le Verbe des idées qui préexistaient dans la pensée divine est d’allure singulièrement chrétienne ; elle ressemble étrangement, en particulier, aux pensées que Jean Scot Érigène se plaît à développer ; ce n’est plus le Néo-platonisme hellénique que nous rappelle la Kabbale ; c’est le Néo-platonisme catholique.

Une particularité nous invite, d’ailleurs, et d’une manière très pressante, à songer au De divivione naturæ, lorsque nous lisons ces divers passages du Zohar. Afin d’autoriser de l’Écriture sainte la théorie selon laquelle les idées ou causes primordiales des créatures auraient été, de toute éternité, fondées par Dieu au sein de son Verbe, Jean Scot, nous l’avons vu[2], use d’un curieux artifice exégétique. Il prend les premiers mots de la Genèse : « In principio Deus fecit cælum et terram. » Au lieu de les entendre ainsi : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre », il leur donne ce sens : « Dans le Principe, Dieu fit le ciel et la terre. » Ce Principe, Principium, c’est, à son gré, le Verbe de Dieu.

Or le Zohar développe exactement la même interprétation des mots : « Bereschith bara Elohim… » Au lieu de voir dans : Bereschith la locution adverbiale : Au commencement, il voit dans ce Commencement, dans ce Principe, la désignation de la Sagesse ou du Verbe de Dieu.

« Le Verbe[3] est appelé Commencement attendu qu’il est l’origine de toute la création…

  1. Zohar, I, fol. 134a et 134b ; t. III, p. 131.
  2. Voir : Ce volume, pp. 48-49.
  3. Zohar, I, fol. 15a ; t. I, p. 90.