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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

dire que La première œuvre du Verbe fut l’imposition de la forme corporelle à la matière informe

À côté de ces récits de la création, on en peut citer nombre d’autres dont la forme allégorique se laisse moins aisément interpréter. Tel est, par exemple, ce passage de l’Idra rabbi[1], qui semblerait professer le système de l’émanation si on le prenait au pied de la lettre, mais qu’il serait vraiment déraisonnable de ne pas tenir pour symbolique :

« Lorsque la volonté de la Tête blanche décida d’être glorifiée dans ses œuvres, la Tête blanche fit sortir un fluide caché. Avant tout, elle souffla sur ce fluide qui répandit des forces cachées unies ensemble, montant et descendant ensemble, comme si elles ne formaient qu’un seul corps. Au moment de souffler sur ce fluide caché, la Tête blanche avait un Éhiéh (Ergo sum). Le fluide montait et descendait et répandait des étincelles, du frottement desquelles sortit une force cachée, La Tête blanche fut alors nommée Ascher éhiéh (Qui sum). Les forces cachées ayant été animées de la force supérieure que produisit le frottement des étincelles, se fusionnèrent et formèrent un bloc pourvu de contours, La Tête blanche fut alors nommée Jéhovah. Elle souffla pour la deuxième fois sur ce fluide, et celui-ci répandit des étincelles de tous les côtés ; par le frottement de ces étincelles, une nouvelle force cachée se produisit, qui répandit, à son tour, des étincelles de tous les côtés. La Tête blanche prit alors le nom de El. Cette nouvelle force cachée, produite par le frottement des étincelles, monta et descendit, et ce mouvement de haut en bas et de bas en haut la pourvut de douze-cents enveloppes de feu, desquelles se dégagea une nouvelle force cachée. Et la Tête blanche prit alors le nom d’Élohim. C’était la force de rigueur qui se ramifie dans toutes les directions ; elle dégage des rayons utiles au Monde et d’autres qui ne le sont pas. Elle souffla pour la troisième fois sur le fluide caché dont se dégagea une nouvelle force cachée, et elle prit le nom de Jéhovah, attribut de la miséricorde, appelé aussi ciel (Schammaïm). La force céleste de Jéhovah réside entre deux autres forces appelées Cebaoth. De ces trois forces émanent toutes les forces et toutes les armées d’en haut préposées à la direction du Monde et chargées chacune d’une action particulière. »

On pourrait rapporter ici d’autres récits de la création, analogues à celui qu’on vient de lire : allégories compliquées et nébuleuses, qui laissent malaisément deviner ce qu’elles prétendent

  1. Zohar, I, fol. 251b et fol. 252a ; t. II, pp. 591-592.