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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Selon Ad. Franck[1], tous les Kabbalisles ont vu, dans le Monde de la matière, une émanation de la substance divine ; le Monde, donc, n’aurait pas été le résultat d’une création, au sens où ce mot est habituellement pris.

Si l’on peut trouver, dans le Zohar, des passages, vagues et ambigus, que leur forme allégorique laisse solliciter dans le sens de l’émanation aussi bien que dans le sens de la création, il en est d’autres qui professent clairement la création ex nihilo, aussi clairement, du moins, qu’on le peut attendre d’un tel livre.

Nous avons entendu, déjà, le Zohar déclarer[2] que « la création s’opéra par la volonté du mystérieux Infini… Le Verbe n’apparaît que pour la création des détails, alors que la création de la matière générale fut opérée avant la manifestation du Verbe. » La matière, cependant, a été créée par le Verbe, mais non point par le Verbe manifesté ; l’infini a opéré la création première de la matière « à l’aide de la mystérieuse Pensée, même essence que le mystérieux Verbe, mais silencieuse. »

On ne saurait mieux affirmer que la création du Monde n’a pas été autre chose, de la part de Dieu, qu’un acte de la Pensée et de la Volonté.

Pourquoi la toute première création de la matière a-t-elle été faite par l’interinédiaire de la Pensée silencieuse, et non par le moyen du Verbe manifesté ? C’est qu’avant la création de la matière, le vide seul existait, et que le Verbe manifesté, la Parole ne se transmet pas dans le vide. C’est donc seulement par le Verbe non manifesté, par la Pensée silencieuse, que l’Infini a pu créer la matière au soin du vide :

« Avant toutes choses, dit le Zohar[3], le Roi a permis la transformation du vide en un éther transparent, fluide impondérable, pareil à la lumière provenant des corps phosphorescents. Ensuite, par un mystère des plus secrets de l’Infini, ce fluide se métamorphosa en un gaz dépourvu de toute configuration aériforme, ni blanc, ni noir, ni rouge, ni vert, ni d’aucune couleur… Ainsi, par un mystère des plus secrets, l’Infini frappa le vide avec le son du Verbe, bien que les ondes sonores ne soient pas transmissibles dans le vide. Le son du Verbe constituait donc le commencement de la matérialisation du Vide… C’est pour cette raison que le Verbe est appelé Commencement, attendu qu’il est l’origine de toute la création. »

  1. Ad. Franck, La Kabbale, 3e éd., pp. 159-161.
  2. Zohar, I, fol. 16b ; t. I, p. 98.
  3. Zohar, I, fol. 15a ; t. I, pp. 89-90.