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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

Lorsqu’Alexandre d’Aphrodisias commente le passage des Météores que nous venons de rapporter, il en prend la dernière remarque et la rapproche de certaines considérations qui se peuvent lire au traité De la génération et de la destruction[1].

Ces considérations ont trait, elles aussi, à l’affirmation d’Empédocle : « Tous les éléments sont égaux entre eux. Ταῦτα γὰρ ἶσα τε πάντα, » Aristote se demande, à ce propos, de quelle manière, sous quel rapport, les éléments doivent être comparés entre eux lorsqu’on en veut apprécier l’égalité. On peut d’abord, dit-il, les comparer selon la quantité,κατὰ τὸ ποσόν, et par cette quantité, il entend la masse ; « ainsi en est-il si d’un cotyle d’eau proviennent dix cotyles d’air, οἷον εἰ ἐξ ὕδατος κοτύλνης εἶἐν ἀέρος δέκα. » ; ce cotyle d’eau et ces dix cotyles d’air seraient égaux en masse. On peut encore comparer deux éléments non plus sous le rapport de leurs masses, mais sous le rapport d’un commun pouvoir, ὅσον δύναται ; « ainsi en est-il si un cotyle d’eau a même pouvoir refroidissant que dix cotyles d’air, οἷον εἰ κοτύλη ὕδατος ἴσον δύναται ψύχειν καὶ δέκα ἀερος,. »

Parmi les Hellènes qui ont commenté ce passage, aucun, croyons-nous, n’a mieux pénétré la pensée d’Aristote que Jean Philopon.[2]

Lorsqu’on regarde, dit-il, les éléments comme égaux entre eux, à condition de prendre chacun d’eux en sa totalité (ὡς τῶν ὁλοτήτων ἰσομεγεθῶν ἀλλήλαις ὑπαρχουσῶν), on n’entend pas dire que ces totalités occupent des volumes égaux ; en effet, il est manifeste que l’eau est plus volumineuse que la terre, que le feu et l’air les surpassent toutes deux ; « de cette façon, donc, il n’est pas possible de dire que les éléments sont égaux entre eux. Lorsqu’Aristote dit que les éléments sont comparables en grandeur, c’est comme s’il disait : Ils sont entre eux comme s’ils se transformaient l’un en l’autre, parce qu’une égale quantité de matière réside en chacun d’eux (τῆς ἴσης ὕλης ἑκάστῳ αὑτῶν ὑποκειμένης.) Ainsi dirions-nous que la totalité de l’eau est égale à la totalité de l’air parce qu’en chacune d’elles, il y a égale quantité de matière, il y a même matière ; en se dilatant, cette matière peut produire l’air et, en se condensant, produire

  1. Aristote De generatione et corruptione lib. II, cap. VI (Aristotelis Opera, éd. Bekker, vol. I, p. 333, col. a).
  2. Joannis Philoponi In Aristotelis libros de generatione et corruptione commentaria. Edidit Hieronymus Vitelli. Berolini, MDCCCLXXXXVII. Lib. II.