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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

En langage moderne, le raisonnement du Stagirite peut se résumer ainsi :

Comme les éléments se peuvent transmuer les uns dans les autres, ils doivent avoir tous, actuellement, même masse ; les volumes qu’ils occupent doivent donc avoir entre eux les mêmes rapports que leurs volumes spécifiques ; or il est manifeste que le rapport du volume spécifique de l’air au volume spécifique de l’eau n’est pas assez grand pour que l’air puisse, comme le veulent les Platoniciens, remplir la concavité de l’orbe de la Lune, tandis que le feu serait réservé aux orbes célestes ; il faut donc que le feu, lui aussi, concoure à remplir la cavité sublunaire ; il faut admettre, hors ces quatre éléments, l’existence d’une cinquième essence propre aux corps célestes.

Aristote énonce en ces termes le principe de cette argumentation :

« Il est nécessaire qu’entre l’air total et l’eau totale, il y ait même rapport [de volume] qu’entre une petite quantité d’eau et l’air engendré par cette eau — Ἀνάγκη δὲ τὸν αὐτὸν ἔχειν λόγον ὃν ἔχει τὸ τοσονδὶ καὶ μικρὸν ὕδωρ πρὸς τὸν ἐξ αὐτοῦ γινόμενον ἀέρα, καὶ τὸν πάντα πρὸς τὸ πᾶν ὕδωρ. » La phrase d’Aristote commet, par inadvertance, une interversion que tous les commentateurs ont reconnue et qu’ils ont évitée.

À son raisonnement, Aristote prévoit une objection ; certains, physiciens, tel Empédocle, nient que les éléments soient suceptibles de s’engendrer les uns des autres ; mais la conclusion restera la même. Ces physiciens prétendent, en effet, que, des divers éléments, la puissance est égale : « Ἴσα τὴν δύναμιν εἶναι » Or les puissances des éléments doivent être proportionnelles à leurs masses, qu’Aristote, faute de terme approprié, nomme leurs grandeurs. « Par là, donc, l’égalité de puissance [entre les éléments] correspond nécessairement à [l’égalité entre] leurs masses, tout comme s’ils étaient engendrés les uns aux dépens des autres. — Κατὰ τοῦτον γὰρ τὸν τρόπον ἀνάγκη τὴν ἰσότητα τῆς δυνάμεως ὑπάρχειν τοῖς μεγέθεσιν αὐτῶν, ὥσπερ κἂν εἰ γιγνόμενα ἐξ ἀλλήλων ὑπῆρχεν,. »

L’eau donc et la terre ont même masse ; le volume de l’eau est au volume de la terre comme la densité de la terre est à la densité de l’eau ; partant, la sphère de l’eau est beaucoup plus volumineuse que la sphère terrestre.

Pouvons-nous nous faire une idée du rapport qui existe entre les volumes de ces deux sphères ?