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L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — I

τῆς γῆς καὶ ἀνισόρροπον). En vertu de cette hétérogénéité, le centre de la pesanteur et de la densité (τὸ μέσον τῆς ῥοπῆς καὶ τοῦ βάρους) n’est pas, pour la terre, le même point que le centre de grandeur (τὸ μέσον τοῦ μενέθους). La terre n’est pas exactement sphérique ; le centre du Monde n’est pas, pour elle, centre de grandeur ; ce qui est au centre de l’Univers, c’est le centre de pesanteur de la terre (τὸ μέσον τῆς γῆς τὸ κατὰ τὴν ῥοπὴν ὄν).

Cette proposition, Alexandre ne la regarde pas comme un jugement particulier à la terre ; à l’image d’Aristote, il y voit un cas singulier d’une vérité qui se doit affirmer de tout corps grave : « Le centre [du Monde] retient les corps graves par le centre de leur pesanteur propre, et non pas par le centre de leur grandeur. — Σπεύδει δὲ τὰ βαρέα τῷ τῆς ῥοπῆς τῆς οἰκείας μέσῳ λαβέσθαι τοῦ μέσου, οὐ τῷ τοῦ μεγέθους μέσῳ ».

Simplicius, qui admet pleinement l’opinion d’Alexandre, regarde[1] le problème qu’Aristote et Alexandre ont examiné comme suggéré par les recherches « que les mécaniciens nomment les Centrobaryques (κεντροβαρικά) ; car les Centrobaryques, au sujet desquels Archimède et plusieurs autres ont énoncé des propositions nombreuses et fort élégantes, ont pour objet de trouver le centre d’une gravité donnée (τὸ δοθέντος βάρους τὸ κέντρον), c’est-à-dire de trouver, sur un corps, le point tel qu’un fil y étant attaché, et le corps étant soulevé à l’aide de ce fil, ce corps demeurera exempt de toute inclinaison. (τουτέστι σημεῖόν τι ἐπὶ τοῦ σώματος ἀφ' οὖ, σπάστου τινὸς ἐξαφθείσης, μετεωριζόμενον ἀκλινὲς ἔσται τὸ σῶμα.) »

Ce passage de Simplicius nous invite, de manière très formelle, à identifier le centre de pesanteur et de densité considéré par Alexandre avec le centre de gravité déterminé par Archimède et par les autres mécaniciens. Que cette identification fut déjà dans la pensée d’Alexandre, nous n’en pouvons guère douter ; Simplicius, d’ailleurs, attire notre attention sur l’analogie qui, vraisemblablement, a conduit le philosophe d’Aphrodisias à l’admettre ; suspendu par son centre de gravité, un corps pesant demeure en équilibre indifférent ; de même, la terre ou tout autre grave doit demeurer en équilibre indifférent, si l’on place au centre du Monde ce point qu’Alexandre nomme le centre de pesanteur.

  1. Simplicii Op. laud., loc. cit., éd. Karsten, p. 243, col. a ; éd. Heiberg, p. 543.