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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

impétueusement jusqu’à ce qu’ils soient remplis ; lorsqu’ils sont remplis, ils chassent cette eau avec violence, en sorte qu’aux bouches de ces gouffres, la mer éprouve un reflux impétueux. »

À l’appui de cette expérience notre auteur conte une anecdote relative à la navigation de Saint Louis partant en croisade.

Ces lois expérimentales étant posées, il s’agit d’en découvrir les causes.

Buridan commence[1] par exposer et critiquer les diverses explications qu’il n’a pas l’intention d’adopter ; c’est au cours de cet examen que nous relevons, au sujet de la théorie d’Alpétragius et de Gilles de Rome, les lignes suivantes, fort analogues à celles que nous avons lues dans la première édition :

« Certains ont prétendu que l’eau se meut en suivant le mouvement diurne, de même que se meuvent le feu et l’air entre les surfaces sphériques qui les bornent ; mais la hauteur des rives empêche la mer d’achever son circuit, en sorte qu’il lui faut revenir sur elle-même.

» Mais la succession régulière des flux et des reflux ne se fait pas selon le mouvement diurne ; elle se fait selon le mouvement de la Lune, comme on le peut voir par les expériences mentionnées ci-dessus. »

Buridan vient maintenant à l’explication qui a ses préférences[2].

« Il nous faut donc exposer une opinion plus probable qui concorde avec tout ce qui apparaît et par laquelle on peut assigner la cause de tous ces effets.

» Notons, tout d’abord, que la Lune exerce, plus que tous les autres astres errants, une vertu intense et manifeste sur les corps humides ; lorsqu’elle se trouve en une des circonstances qui la fortifient, elle les fait croître. C’est là la première conclusion que nous formulerons en cette question. Il est des expériences qui la rendent évidente ; les moelles et les cervelles des animaux augmentent d’une façon manifeste au moment de la pleine lune ; suivant l’accroissement de la Lune, l’animal qu’on nomme larelle (larellus)[3] engraisse à tel point qu’au moment de la pleine lune, il a un lard épais comme celui du porc ; quand la Lune fait défaut, au contraire, il n’a presque

  1. Ms. cit., fol. 205, col. c. et d.
  2. Ms. cit., fol. 205, col. d, et fol. 206, col. a.
  3. C’est le mollusque que les naturalistes nomment Pyrule melongène.