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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

de Bourges entend ainsi désigner), le Soleil évapore l’eau sans cesse et la transforme en air. Ainsi y a-t-il tantôt excès et tantôt défaut de l’eau de la mer, d’où le flux et le reflux. Telle est la première théorie visée par Gilles ; nous y, reconnaissons les traits essentiels de celle que développait le Tractatus de fluxu et refluxu maris.

Venant alors à l*autre alternative annoncée, « nous pouvons, dit-il, adapter le flux et le reflux à la croissance et à la décroissance de la Lune ; en effet, suivant la croissance et la décroissance de cet astre, toutes les choses humides augmentent, puis diminuent ; lors donc que la Lune est pleine, il est à croire qu’elle condense une plus grande quantité d’air et qu’elle en convertit en eau une masse plus considérable ; il y a, dès lors, une plus grande génération d’eau et le flux est plus fort et plus violent lorsque la Lune est pleine ».

Gilles ne semble donc faire intervenir la Lune que pour expliquer la période mensuelle de la marée ; ainsi faisait Guillaume de Conches[1]. En outre, il n’admet, en chaque mois lunaire, qu’une seule vive eau, au moment de la pleine lune ; c’est une erreur que professait déjà Guillaume d’Auvergne.

Cette allusion au rôle de la Lune ramène d’ailleurs Gilles à la théorie proposée par le Tractatus de fluxu et refluxu maris, et voici comment :

« Ce que nous avons dit de la Lune, écrit-il, est vrai aussi des autres astres. Certains astres sont chauds ; ils produisent l’évaporation de l’eau ; de là, diminution de l’eau et accroissement de l’air. D’autres astres sont froids ; ils condensent l’air, le convertissent en eau et, de ce chef, augmentent la masse de l’eau ; c’est par l’effet de cette augmentation et de cette diminution de l’eau que se font le flux et le reflux.

» Cela a surtout lieu dans la Grande Mer (l’Océan). Dans sa circulation, le Soleil passe au-dessus de cette mer prise dans sa largeur (dyametraliter) ; ce passage du Soleil produit une grande évaporation et une forte diminution de l’eau ; par suite de cette diminution, l’eau se retire. On pense, d’autre part, que la Grande Mer atteint la région septentrionale où règne un si grand froid et où se fait une si forte génération d’eau ; par l’effet de l’abondance de ces eaux, la mer se répand de tous côtés. C’est ainsi que, par l’augmentation et la diminution des eaux, se font le flux et le reflux. »

  1. Voir : Seconde partie, ch. III, § X, t. III, pp. 117-119.