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LA THÉORIE DES MARÉES

qui se trouve entre l’Espagne et le Maroc, n’est large que de quinze milles ; la quantité du flux océanique qui pénètre par ce détroit devient insensible aussitôt qu’elle s’est quelque peu éloignée de l’entrée. »

Notre auteur, cependant, par observation personnelle ou par ouï-dire, sait que certaines parties de la Méditerranée présentent un flux et un reflux sensibles ; de ces marées méditerranéennes, il a entendu donner l’explication que Paul Diacre avait proposée[1] ; cette explication, il se plaît à la développer et à la rattacher à sa propre théorie.

« Tous les marins, écrit-il, et nombre d’autres personnes disent que, dans ce lac [qu’est la mer Méditerranée], il existe un gouffre qui, à certaines heures du jour, attire les eaux et absorbe les navires, et qui, ensuite, rejette et vomit ces eaux.

» Touchant ce gouffre, on pourrait dire qu’il existe, sous terre, une caverne de très grande étendue qui fait communiquer la mer [Méditerranée] avec l’Océan ou Amphitrite ; lorsque le flux océanique arrive à l’orifice par lequel ce gouffre débouche dans l’Océan, il lui faut repousser les eaux, par l’autre ouverture, dans la Méditerranée ; après que le flux a passé, ces eaux reviennent à l’Océan ; ces mouvements alternatifs ne cessent de se produire, tant que les niveaux des deux mers ne sont pas à la même distance du centre du Monde. »

Jusqu’ici, le Tractatus de fluxu et refluxu maris ne s’est occupé que de la période diurne de la marée ; il va tenter, maintenant, de rendre compte des autres périodes ; mais ses explications seront singulièrement vagues et défectueuses.

« Des causes multiples, dit-il[2], viennent, de temps à autre, accroître ou diminuer le flux ou le reflux.

» Demandera-t-on, par exemple, pourquoi, dans le Nord, les marées sont régulièrement plus fortes en hiver qu’en été ? On peut répondre… que le Soleil, en produisant la chaleur et repoussant le froid, est, pour l’eau, cause d’évaporation et non de génération ; plus donc il est éloigné du pôle septentrional, mieux et plus vite le froid qui y règne pourra condenser et disposer la matière afin qu’à l’aide de la Lune, elle se transforme en eau ; or, du tropique du Cancer, qu’il atteint en été, le Soleil, en hiver, recule jusqu’au tropique du Capricorne, où il se trouve à sa plus grande distance du Septentrion ; on peut donc dire

  1. Voir : Seconde partie, Ch. III, § X, t. III, p. 114.
  2. Ms. cit., fol. 258, col. d, et fol. 259, col. a.