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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

large, profonde et salée. Cela posé, ils s’efforcent, par une exposition longue et intelligible, de rendre compte de la marée.

» Au lever de la Lune, disent-ils, des vents sont engendrés dans ces fonds rocheux qui sont, à leur gré, parfaitement aptes à cette production ; il leur faut, du sein et du fond de la mer, monter jusqu’à la surface ; ils soulèvent alors les eaux de la mer qui sont grossières et salées, et celles-ci s’écoulent alors vers les lieux de niveau moins élevé. Puis, lorsque la Lune se trouve tout à fait au-dessus de la mer, les eaux reviennent à la place d’où elles étaient sorties tout d’abord. Voilà, au gré de ces personnes, une cause qui rend compte très suffisamment du flux et du reflux. »

Dans ce que nous venons de lire, nous reconnaissons non seulement la pensée, mais même certains membres de phrases d’Albert le Grand ; notre auteur, cependant, s’abstient de signaler le rapprochement que faisait Albert, comme Guillaume d’Auvergne et Robert Grosse-Teste, entre le gonflement de la mer au moment du flux et l’ébullition d’un liquide ; pour discuter cette hypothèse, il la modifie assez profondément ; il la formule, en définitive de la manière suivante : Le flux résulte de l’agitation de la mer par un vent que la Lune engendre au sein de l’eau.

Nous ne reproduirons pas ici toutes les objections que l’auteur fait valoir contre cette proposition ; contentons-nous de reproduire une page[1] où nous reconnaîtrons qu’il s’était, comme il nous l’a dit, renseigné auprès des gens de mer.

« La mer, dirait-on peut-être, n’est jamais troublée que par le vent ; or les marins disent que, bien souvent, la mer est fortement agitée sans qu’il souffle aucun vent ; puis, au bout d’un certain temps, le vent détermine une grave tempête ; il semble donc que ce vent soit sorti de la mer.

» À cela, il faut répondre que le vent ne souffle pas continuellement, mais à certains intervalles de temps ; qu’il ne souffle pas d’une manière universelle et partout à la fois, mais d’une manière particulière et déterminée.

» Lors donc que le vent souffle en quelque partie de la mer, les eaux qui, dans cette région, se trouvent à la surface de la mer, sont agitées ; cette agitation n’a pas seulement lieu là où s’étend la force du vent, mais encore au delà ; c’est ce que peut voir qui jette une pierre dans l’eau ; la pierre n’ébranle pas

  1. Ms. cit., fol. 257, col. d, et fol. 258, col. a