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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

royaume de France ; lorsque j’ai vu que, deux fois par jour naturel à peu près, elle éprouvait une très grande augmentation suivie d’une très grande diminution ; qu’on la voyait ainsi, d’une manière manifeste, affluer en même temps sur chacun des deux rivages, et refluer peu de temps après, j’ai commencé d’éprouver, touchant ces effets, un très violent étonnement ; cet étonnement ne fit que croître lorsque j’eus parcouru les rivages de la mer qui baigne la Provence et l’Italie, et qu’il m’eût été impossible, en cette mer, de rien observer, de rien noter de ce qui arrive dans celle dont je parlais tout à l’heure ; j’ai parcouru alors quelques-uns des livres des philosophes, afin de connaître la cause de ces merveilles ; mais, bien loin de diminuer mes doutes, leurs explications en firent surgir de plus forts ; donc, après de nombreuses veilles, après diverses enquêtes faites, auprès des matelots, touchant le mouvement de la mer, j’ai été prié par mes maîtres et par mes compagnons de mettre par écrit les pensées que j’avais conçues touchant la cause de * ce mouvement ; ce qui m’a surtout pressé de consentir à cette demande, c’est l’idée que je donnerais par là, aux gens instruits, matière à réflexion ; qu’ils découvriraient la vérité si ma thèse était trouvée fausse, et, qu’au cas où elle leur paraîtrait incomplète, ils la perfectionneraient ; il me semble, en effet, que la solution de cette difficulté nous ouvrirait les routes qui mènent à l’intelligence d’une foule de questions.

» La manière convenable de traiter ce sujet sera d’imiter le Philosophe et, suivant la sage coutume des jardiniers, de reconnaître et d’arracher les erreurs qui se rencontrent en cette matière comme, d’un jardin, on arrache les mauvaises herbes.

» Donc, au nom du Seigneur Dieu bienveillant et miséricordieux, sachez que voici ce qui a paru vrai à certaines personnes : À la Lune a été donnée la domination sur les eaux et sur les substances humides ; de même que le fer est mû vers l’aimant ou pierre magnétique, de même, lorsque la Lune se lève au-dessus de l’horizon d’une mer, cette mer tend vers le côté ou vers le rivage au-dessus duquel la Lune se lève tout d’abord ; puis, lorsque la Lune est montée au milieu du ciel, les eaux reviennent à leur lieu primitif ; lorsqu’ensuite la Lune, à l’Occident, descend au-dessous de l’horizon, le flux se produit, comme précédemment, sur l’autre rivage.

» Mais l’opinion de ces personnes ne peut tenir d’aucune manière. »

Notre auteur s’applique donc, tout d’abord, à ruiner la théorie