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LA PLURALITÉ DES MONDES

pur ; les parties de la terre qui sont couvertes d’eau apparaissent en clair à la surface de la Lune, tandis que les continents s’y montrent en sombre ; l’image qui se voit dans la Lune reproduit la disposition de ces diverses parties. »

Après avoir sommairement discuté cette dernière théorie, notre auteur poursuit en ces termes :

« On peut encore s’exprimer d’une autre manière, et que je crois meilleure : Il faut admettre que le corps de la Lune est plus dense en certaines de ses parties et plus rare en d’autres. Les parties qui sont plus rares reçoivent mieux la lumière solaire et la laissent pénétrer à une plus grande profondeur ; aussi semblent-elles plus claires. Au contraire, les parties plus denses reçoivent moins bien la lumière du Soleil ; aussi se montrent-elles plus sombres. La figure apparaît dans la Lune selon la situation qu’y occupe cette condensation.

» On me fera peut-être une objection ; on me dira que je fais une mauvaise supposition en admettant qu’il y a au Ciel rareté et densité ; je réponds que cela n’est pas impossible selon ce que dit Averroès au livre De la substance de l’orbe. Averroès admet, dans ce livre, qu’on ne peut supposer au Ciel une rareté comme celle qui se rencontre ici-bas, mais qu’il est assez clair qu’on l’y suppose par homonymie (æquivoce). »

Nous sommes en 1271 ; voici que l’explication averroïste de la tache lunaire, tirée de principes péripatéticiens, se substitue aux explications de l’ancienne scolastique, qui assimilaient la nature de la Lune à celle des êtres sublunaires, et pour lesquelles Albert le Grand et Saint Thomas d’Aquin éprouvaient encore une sorte de penchant.

Un des manuscrits qui nous conservent le Tractatus super totam Astrologiam de Bernard de Verdun porte une glose marginale où se lit une singulière explication de la tache de la Lune[1]. Selon cette explication, la Lune serait un corps sphérique parfaitement transparent contenant à son intérieur un autre corps obscur ; celui-ci, vu à travers celui-là, paraîtrait comme une tache sombre.

Cette bizarre supposition avait pour but de montrer que la Lune peut décrire un épicycle sans tourner sur elle-même et sans que, cependant, la tache change de forme.

  1. Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. no 7.333, fol. 19, col. c. Voir : Seconde partie, ch. VII, § VII ; t. III, p. 456.