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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

préexistent au sein de ceux-là ; mais ils n’y préexistent pas de la même façon qu’ils existent dans les corps élémentaires ; ils y existent d’une plus excellente manière.

» Or, parmi les éléments, le plus élevé, c’est le feu, qui possède le plus de lumière ; le moins élevé, c’est la terre, qui possède le moins de lumière. Partant, la Lune, qui est le plus bas des corps célestes, a quelque rapport (proportionatur) avec la terre, et quelque ressemblance avec la nature de cette dernière ; aussi le Soleil ne peut-il la rendre lumineuse en totalité ; voilà pourquoi dans la partie de la Lune que le Soleil éclaire parfaitement voit-on une certaine région obscure. »

De ces deux opinions, Saint Thomas ne dit pas quelle est celle qu’il préfère ; si l’on s’en rapporte à la coutume suivie par les expositions scolastiques, ce doit être la seconde.

Un péripatéticien convaincu, un lecteur d’Averroès ne s’y pouvait point complaire ; elle avait encore trop de ressemblance avec les théories platoniciennes reçues par l’ancienne Scolastique ; bien qu’elle ne mît les éléments, au sein des corps célestes, que sous une forme supérieure à celle qu’ils affectent ici-bas, elle s’écartait visiblement de l’enseignement aristotélicien touchant la cinquième essence ; il la fallait donc rejeter ; ce fut l’avis de Robert l’Anglais.

« Dans la Lune, dit celui-ci[1], il est une diversité dont aucun auteur, que je sache, n’a pleinement déterminé, comme on le doit faire, la véritable nature. Il s’agit de cette tache obscure, ayant forme humaine, qui apparaît sur la Lune.

» Selon les contes des paysans, c’est un paysan qui avait volé un fagot d’épines et qui le portait sur son dos ; il fut stellifié dans la Lune, et cette tache sombre est son image.

» Une autre opinion touchant cette tache qui se montre sur la Lune, c’est la suivante : La Lune, étant un corps intermédiaire entre les choses célestes et les choses terrestres, participe aussi bien de la nature de celles-ci que de la nature de celles-là ; en tant qu’elle participe de la nature des choses célestes, une région claire se montre en elle ; une région sombre s’y manifeste, en tant qu’elle participe des corps terrestres.

» On dit encore, et avec plus de probabilité : La Lune est une sorte de corps lisse et poli dans lequel les formes des choses qui lui sont opposées se reflètent comme dans un miroir très

  1. Tractatus de spera Jo. de Sacro Bosco cum glosis Ro. Anglici ; cap. IV glosa II. Bibl. Nat., fonds latin, ms. no 7.392, fol. 42, col. c et d, et fol. 43, col. a.