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LA PLURALITÉ DES MONDES

exception de la Lune qui, parmi tous les astres du Ciel, est de la moindre noblesse. »

Comme Averroès, Albert combat l’opinion qui voit, dans la tache de la Lune, une image de nos montagnes et de nos mers[1]. Puis il ajoute : « S’il en était ainsi, la lumière qui s’observe en la Lune proviendrait d’une réflexion faite sur cet astre, et non par imbitition de la lumière solaire dans sa profondeur ; c’est un avis que nous repoussons. Mais nous disons que cette figure provient de la nature de la Lune, qui est de nature terrestre. Sed dicimus quod hæc figura est de natura Luriæ quæ est naturæ terrestris. » Puis, sans plus ample explication, notre auteur décrit en détail la forme de la tache lunaire.

« La Lune est de nature terrestre ». Voilà une affirmation qu’un péripatéticien fidèle ne pouvait prendre au pied de la lettre. Saint Thomas d’Aquin s’efforce d’en atténuer quelque peu la brutalité.

À l’imitation d’Averroès, le Doctor communis commence[2] par prouver que cette tache ne se peut expliquer ni par l’interposition de quelque corps étranger, ni par une réflexion des accidents de la surface terrestre ; puis il poursuit en ces termes :

» D’autres disent plus justement que la raison pour laquelle la Lune nous manifeste une semblable diversité se tire d’une disposition de la substance même de cet astre et non pas de l’interposition de quelque corps non plus que de quelque réflexion. Mais ceux-ci se partagent entre deux opinions.

» Certains ont prétendu que les formes des effets préexistent d’une certaine manière au sein des causes ; toutefois, plus la cause est élevée, plus les formes diverses des effets s’y trouvent ramenées à l’uniformité ; au contraire, plus basse est la cause, plus les formes des effets y sont distinctes les unes des autres. Or les corps célestes sont les causes des corps d’ici-bas, et, parmi les corps célestes, la Lune est le moins élevé ; dans la Lune, donc, et sur sa surface inférieure se trouve une sorte d’hétérogénéité exemplaire des corps soumis à la génération. Ce fut l’avis de Jamblique.

» D’autres disent : Il est vrai que les corps célestes sont d’autre nature que les quatre éléments ; ceux-ci, néanmoins,

  1. Albert le Grand, loc. cit., cap. VIII : De motibus duobus scintiliationis et titubationis, utrum convenlant stellis ; in quo est digressio declarans causam et figuram umbræ quæ videtur in Luna ; et de altercatione Averrois contra Avicennam.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Expositio in libros Aristotelis de Cælo et Mundo ; lib. II, lect. XII.