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LA PLURALITÉ DES MONDES

Le Livre sur la constitution du Monde qu’on attribue faussement à Bède le Vénérable s’exprime en ces termes[1] :

« La Lune est formée par les quatre éléments. De ces éléments, il en est trois qui sont bien mêlés et polis, car ils sont naturellement transparents et rendent d’eux-mêmes de la lumière. Au contraire, au lieu où se trouve la tache, la terre n’est point bien mêlée aux autres éléments ; en cet endroit, elle est rugueuse et ne répand pas de lumière. »

Dans son opuscule intitulé L’image du Monde, Honoré le Solitaire enseigne[2] que l’éther au sein duquel se meuvent les planètes est identique au feu pur. La Lune « est de nature ignée, mais sa masse est mélangée d’eau. Elle n’a pas de lumière propre, mais elle est éclairée par le Soleil à la façon d’un miroir… Qu’on aperçoive en elle une sorte de petit nuage, cela provient, croit-on, de la nature aqueuse. On dit, en effet, que si elle n’était pas mélangée d’eau, elle éclairerait la terre comme le Soleil l’éclaire ; et même, à cause de son voisinage de la terre, elle la dévasterait par son ardeur excessive. »

Dans son Introductoire d’Astronomie, l’Astrologue de Baudoin de Gourtenay reproduit, vers 1270, les idées qui avaient cours dans l’ancienne Scolastique. Ainsi en est-il pour ce qu’il dit de la tache de la Lune[3], car c’est l’opinion du pseudo-Bède qui transparaît dans ses propos :

« De la Lune sunt II opinions. L’une de Aristote, qu’ils tiènent à hérésie ; l’autre commune, que li philosophes, presque tuit[4], distrent : Que li cors de la Lune est aquatikes et plus espès que li autre planète por la prochièneté de l’aive[5] et de la terre ; et porce qu’èle est voisine as froides choses, ce est à l’aive et à la terre, elle n’a de soi ne chalor ne resplendor ; ainz convint qu’èle le eust del Soloil. Quar ce est I cors poliz et exters[6] autresi cum glace ou cristals ; et quant li rais del Soloil ce fièrent[7], si reluist autresi cum ï mireor. Et jà soit-ce que il

  1. Bedæ Venerabilis De constitutione mundi cælestis terrestrisque liber, cap. : De macula Lunæ [Bedæ Venerabilis Operum t. I (Patrologiæ latinæ, accurante J. P. Migne, t. XC), col. 888].
  2. Honorius Solitarius De imagine mundi [Beati Anselmi. Opuscula, Basileæ ( ?), 1497 ( ?), cap. XXII : De igne. Honorii Augustodunensis Opera (Patrologiæ latinæ, accurante J. P. Migne, t. CLXXII), cap. LXVII sqq., col. 138- 139]
  3. Introductoire d’Astronomie, De chascun planète par soi. (Bibliothèque Nationale, fonds français, ms. n° 1.353, fol. 28, col. d et fol. 29, col. a.)
  4. Tuit = tous.
  5. Aive » eau.
  6. Exters = lisse, poli (extersus).
  7. Fièrent frappent.