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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

lumière du Soleil réfléchie comme elle le serait par un miroir ; ils ne paraissent pas avoir pensé que la Lune pût être un corps rugueux renvoyant cette lumière en tout sens par diffusion ; il leur eût sans doute paru contraire à la perfection d’un corps céleste que la surface n’en fût pas parfaitement lisse et poli ; ils attribuent alors à la Lune le pouvoir d’émettre de la lumière par elle-même, mais seulement lorsque l’éclairement du Soleil l’y prédispose ; la propriété qu’ils attribuent à la Lune ressemble beaucoup à ce que nous nommons fluorescence.

Une raison semblable à celle qui a suggéré cette supposition écarte l’hypothèse au gré de laquelle la tache de la Lune ne serait que l’image des objets terrestres, des montagnes ou des mers, réfléchie à la surface de l’astre. S’il en était ainsi, en effet, la figure de cette tache changerait selon la position que la Lune occupe par rapport à la terre.

Cette tache, donc, n’admet pas d’autre explication que celle-ci : Lorsque l’éclairement du Soleil les prédispose et les excite, les diverses parties de la Lune deviennent lumineuses ; mais elles ne le deviennent pas toutes de la même façon.

Dans toutes ces considérations sur la nature de la lumière lunaire et de la tache de la Lune, Averroès s’efforce de ne manquer en rien au Péripatétisme ; à la substance de la Lune, il attribue une certaine hétérogénéité ; mais cette hétérogénéité ne porte que sur les qualités désignées par les mots : dense ou rare, opaque ou diaphane, obscur ou lumineux. Or, dans son Discours sur la substance de l’orbe, le Commentateur professe que ces mots peuvent être dits de l’essence céleste aussi bien que des corps sublunaires[1], encore qu’ils n’aient pas, dans les deux cas, précisément le même sens, qu’ils aient seulement des significations analogues.

La Scolastique chrétienne n’avait pas, avant le xiiie siècle, à s’embarrasser de telles précautions ; elle n’était pas péripatéticienne, elle était platonicienne ; elle ne croyait pas que les corps célestes fussent formés d’une substance particulière absolument distincte des substances sublunaires ; elle y voyait un mélange des quatre éléments, où le feu dominait. Pour expliquer la tache de la Lune, elle attribuait à cet astre une structure hétérogène semblable à celle des corps que nous pouvons rencontrer autour de nous.

  1. Averrois Cordubensis Sermo de substantia orbis, cap., IL