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LA PLURALITÉ DES MONDES

Le Commentateur entend bien que ces analogies entre les corps célestes et les corps élémentaires, tirées de la façon dont ces corps se comportent à l’égard de la lumière, n’atténuent en rien l’irréductible opposition que met le Péripatétisme entre les corps éternels et les corps changeants et périssables. Aussi ne croira-t-il pas s’éloigner du sentiment d’Aristote en usant de ces analogies pour expliquer les particularités de la tache de la Lune.

« Voici ce qu’on peut dire de plus juste à ce sujet, écrit-il[1] : Cette tache est, à la surface de la Lune, une partie qui ne reçoit pas la lumière du Soleil de la même façon que les autres parties ; ce n’est point là chose interdite à un corps céleste ; en effet, de même qu’on rencontre, en ces corps, quelque chose qui est lumineux d’une certaine manière, on y rencontre aussi quelque chose d’obscur ; telle est la Lune ; aussi Aristote dit-il au Traité des animaux que la nature de la Lune est semblable à la nature de la terre ; il entend par là que la Lune n’est pas lumineuse par elle-même ; qu’elle tient d’autrui son caractère lumineux, comme la terre le tient du feu ; il n’en est pas ainsi, comme on le voit manifestement, pour les autres étoiles. Puis donc que les diverses parties du corps céleste se distinguent les unes des autres en ce qu’elles sont diaphanes, ou non diaphanes, ou lumineuses, il n’est point défendu que les diverses parties de la Lune reçoivent différemment la lumière du Soleil. »

Mais le premier point à examiner, c’est évidemment celui-ci : De quelle façon le Soleil rend-il la Lune propre à éclairer ?

« Il est démontré, en effet, que si la Lune acquiert du Soleil le pouvoir d’éclairer, ce n’est pas par réflexion. Cela a été prouvé par Avenatha », c’est-à-dire par Abraham ben Ezra, « dans un traité singulier. Si elle éclaire, c’est en tant que corps devenu lumineux par lui-même. Le Soleil la rend, tout d’abord, lumineuse ; puis la lumière émane d’elle à la façon dont elle émane des autres étoiles ; c’est-à-dire que, de chaque point de la Lune, part une multitude infinie de rayons. Si son pouvoir éclairant provenait de la réflexion, elle n’éclairerait, sur la terre, que certains endroits bien déterminés qui dépendraient de la situation qu’elle occupe ; la réflexion ne se produit, en effet, que sous un angle déterminé. »

Abraham ben Ezra et Averroès ont parfaitement raison de déclarer que la lumière envoyée par la Lune ne peut être la

  1. Aveerois Cordubensis Op. laud., lib. II, summa III, cap. II, comm. 49.