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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» Et après ce, il monte par violence pour ce que l’eaue esliève cest aer et se lance soubz lui par sa pesanteur.

» Et donques toute la descendue de cest aer et toute la montée, ces deux mouvemens, entant comme ils sont contraires, un est naturel et l’autre violent. »

Qu’un corps simple ne puisse prendre naturellement deux mouvements simples distincts l’un de l’autre, c’était, pour Aristote, l’une des raisons qui rendaient inadmissible le mouvement diurne de la terre. Oresme sait bien que la ruine du principe entraîne la ruine de la conséquence ; et c’est surtout, sans doute, pour abattre celle-ci qu’il a sapé celui-là. Nous avons vu en effet, comment il répondait[1] à l’argument qu’Aristote invoquait en faveur de l’immobilité de la terre :

« Au premier argument où il est dit que tout corps simple a un seul et simple mouvement, je di que la Terre, qui est corps simple selon soy toute, non a quelconque mouvement selon Aristote comme il appert au XXIIe chapitre.

» Et qui diroit que tel corps a un seul mouvement simple et non pas selon soy tout, mes selon ses parties quand elles sont hors de leur lieu, contre ce est forte instance de l’aer qui descent quand il est en la région du feu et monte quand il est en la région de l’eau, et ce sont deux simples mouvements… Et si aucune partie de tel corps est hors de son lieu et de son tout, elle y retorne plus droit qu’elle peut, osté empeschement… »

En soutenant l’hypothèse de la rotation de la terre, et en détruisant les arguments péripatéticiens qui s’y opposaient, Oresme a été un précurseur ; il l’a été aussi, et surtout, en formulant une théorie de la pesanteur qui rendît possible la révolution copernicaine. Audacieusement novatrice, car elle impose des axiomes identiques à la Mécanique des mouvements célestes et à la Mécanique des mouvements sublunaires, cette théorie sera celle des astronomes de la nouvelle école, jusqu’au jour où la théorie de la gravitation universelle, proposée pour la première fois par Képler, viendra la supplanter.

  1. Nicole Oresme, Traité du Ciel et da Monde, livre II, ch. XXV ; ms. cit., fol. 83, col. b et c. Voir plus haut : ch. IX, § II, p. 334.