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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» Mes, pour ce, ne s’ensuit il pas que les parties de la terre ou les choses pesantes de l’autre monde, se il estoit, tendissent au centre de cestui ; car en leur monde, elles feroient une masse qui seroit un corps selon nombre, et qui auroit un lieu selon nombre, et seroit ordenée selon hault et bas en la manière dessus dicte. »

Le principe de cette nouvelle théorie de la pesanteur, Nicole Oresme l’a formulé avec une parfaite clarté : « L’ordenance naturèle des choses pesantes et des légières est telle que les pesantes toutes, selon ce qu’il est possible, soient au milieu des légières sans déterminer à elles aucun lieu immobile. » Qui ne voit les conséquences d’un pareil principe ? La pesanteur de la terre n’exige plus, comme en la Physique d’Aristote, que la terre demeure immobile au centre du Monde ; entourée de ses éléments dont les plus légers enveloppent les plus lourds, elle peut se mouvoir dans l’espace à la manière d’une planète ; et, d’autre part, rien n’empêche que chaque planète ne soit formée par une terre grave qu’environnent une eau, un air, un feu analogues aux nôtres. La doctrine nouvelle permet de comparer entre elles la terre et les planètes, ce que la théorie péripatéticienne de la pesanteur interdisait d’une manière rigoureuse. Aussi l’opinion d’Oresme va-t-elle être adoptée par tous ceux qui voudront mettre la terre au nombre des planètes ; elle va être adoptée par Nicolas de Cues d’abord, par Léonard de Vinci ensuite, puis par Copernic, enfin par Giordano Bruno qui en fera une de ses thèses favorites.

D’ailleurs, cette théorie de la pesanteur, si fort opposée à la théorie péripatéticienne, elle n’est pas nouvelle en Physique ; c’est celle que Platon soutenait au Timée ; et Platon en tirait, pour le mouvement naturel, une définition bien différente de celle que devait donner Aristote ; le mouvement naturel, ce n’est pas le mouvement qui se dirige vers le centre du Monde ou le mouvement qui s’en éloigne, selon que le mobile est grave ou léger ; c’est le mouvement par lequel un corps tend à rejoindre l’ensemble de l’élément auquel il appartient et dont il a été violemment détaché pour être placé au sein d’un élément d’autre nature ; ainsi l’air descend naturellement lorsqu’il est en la sphère du feu comme il monte naturellement lorsqu’il est environné d’eau, car, dans les deux cas, il cherche à se rapprocher de la sphère de l’air ; ces deux mouvements contraires l’un à l’autre, le mouvement centripète et le mouvement centrifuge, sont également naturels à l’air ou lui sont