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LA PLURALITÉ DES MONDES

reconnaissons également, dans la forme qui est ici donnée à cette pensée, celle contre laquelle se dirigeaient les répliques d’Albert de Saxe.

Le passage que nous venons de citer est immédiatement suivi d’une autre remarque, où nous retrouvons cette conclusion dont Albertutius disait avec quelque dédain : « Ad impossibile potest sequi quodlibet. » Voici cette remarque :

« Et l’on pourroit dire semblablement que se une porcion de terre estoit entre deux mondes par équale distance et se elle se peust deviser, une partie iroit au centre d’un monde et l’autre au centre de l’autre monde.

» Et se elle ne se pouvoit diviser, elle ne se mouvroit pour l’indifférence et seroit aussi comme un fer entre deux aymans équalz et équalement [forts].

» Et se elle estoit plus près d’un monde que de l’autre, elle tendroit vers le centre du plus prochain. »

D’ailleurs, au sujet des états d’équilibre qu’il vient de considérer : équilibre d’une sphère de feu dont le centre serait au centre du Monde, équilibre d’une masse de terre équidistante des centres de deux mondes, notre auteur a reconnu fort clairement qu’ils seraient frappés d’instabilité :

« Je cuide que ce soit vray si le cas estoit tel comme il est devant mis ; mes il ne pourroit par nature estre tel et durer en tel estât, par les variacions ou altérations ou autres mouvemens qui sont de commun cours ; aussi comme une pesante espée ne pourroit longuement estre en estant sus sa pointe. »

Toutes ces remarques, comme l’a dit l’Évêque de Lisieux, sont « à octroyer selon la philosophie d’Aristote. » Cette philosophie, il la va délaisser dans son dernier chapitre sur la pluralité des Mondes, chapitre qui porte ce titre[1] :

« Ou XIXe chapitre, il réprouve les opinions contraires à ce que dit est ou chapitre précéden. »

Voici comment, à la fin de ce chapitre, il annonce qu’il nous va donner sa propre pensée[2] :

« Or sont finis les chapitres où Aristote entendoit prouver que c’est impossible que plus d’un monde soit ; et est bon de considérer selon la vérité ce que l’on puet dire en ceste matière, sans regarder autorité de homme, mes seulement à pure raison.

  1. Nicole Oresme Op. laud., livre I, ch. XIX ; ms. cit., fol. 17, col. a.
  2. Nicole Oresme, loc. cit., fol. 20, col. a.