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LA PLURALITÉ DES MONDES

trouvât pas blessée à mort par le décret où Étienne Tempier affirmait que Dieu peut créer plusieurs mondes. En effet, même après ce décret, quelques maîtres, tels Jean de Jandun et Albert de Saxe, gardèrent pleine confiance en ce qu’Aristote avait enseigné touchant la tendance des graves vers le centre du Monde ; ils accordaient à Dieu, il est vrai, le pouvoir de créer et de conserver plusieurs mondes, mais en vertu d’une action surnaturelle, d’un miracle permanent qui contredît sans cesse aux lois les plus assurées de la Physique. Toutefois, ceux qui tinrent ce langage furent certainement peu nombreux ; l’immense majorité des maîtres de Paris et d’Oxford suivirent un autre avis ; ils s’efforcèrent de corriger, de retoucher la théorie du lieu naturel jusqu’à ce qu’elle devînt compatible avec l’existence de plusieurs mondes.

Les modifications diverses qui furent ainsi apportées, de plusieurs côtés, à l’enseignement d’Aristote ne parurent pas encore suffisantes à certains esprits plus audacieux ; ceux-ci n’hésitèrent pas à délaisser complètement la doctrine qu’Aristote professait au sujet de la pesanteur pour revenir à celle que le Timée semblait proposer, que Plutarque avait magnifiquement développée dans son opuscule Sur le visage qui se voit dans le disque de la Lune[1].

Selon cette doctrine, si les divers éléments se meuvent de mouvement naturel, ce n’est pas qu’ils tendent à occuper des positions déterminées à l’égard du centre du Monde ; ce à quoi ils aspirent, c’est à une certaine disposition qui, sans tenir compte de rien qui leur soit étranger, les coordonne les uns par rapport aux autres ; ils se meuvent afin de se distribuer en sphères ou couches sphériques concentriques, superposées suivant l’ordre décroissant des densités ; quand la terre forme ainsi la sphère interne, qu’elle est recouverte par l’eau, puis par l’air, qu’enfm le feu enveloppe le tout, les quatre éléments demeurent en équilibre, quel que soit d’ailleurs, dans l’Univers, la place de leur ensemble. Dès lors, rien ne s’oppose plus à la coexistence de plusieurs ensembles d’éléments ainsi disposés ; l’argumentation aristotélicienne contre la pluralité des Mondes n’a plus de raison d’être.

Cette doctrine, il s’est trouvé, dans F École parisienne du xive siècle, un maître pour la reprendre et pour la développer

  1. Première partie, ch. XIII, § XII ; t. II, pp. 361-363.