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LA PLURALITÉ DES MONDES

Buridan rappelle d’abord sur quelles hypothèses repose l’argumentation d’Aristote :

« En premier lieu, ce monde-ci et l’autre seraient de même nature (ratio) et composés de principes spécifiquement semblables…

» Mais, en vérité, il n’est pas nécessaire d’accorder cette supposition ; en effet, Dieu, par sa toute-puissance et sa volonté libre, pourrait produire des actions dissemblables. »

La discussion des arguments d’Aristote fournit à notre auteur l’occasion de faire, à l’accélération de la chute des graves, d’intéressantes allusions que nous avons précédemment rapportées[1]. Cette discussion s’achève en ces termes[2] :

« Telle est la voie explicitement suivie par Aristote.

» Mais il me semble qu’elle n’est point démonstrative. Sans doute, c’est la nature du grave qui meut le corps, mais son action motrice est sous la dépendance des corps célestes et de Dieu ; elle est ordonnée par Dieu. Dès lors, supposons que la toute-puissance divine anéantisse tous les corps, sauf l’air de ce monde-ci, et une masse de terre ; au sein de cet air, cette masse de terre demeurerait en repos ; elle ne se mouvrait point ; il n’y aurait, en effet, aucune raison pour qu’elle se mût d’un côté plutôt que de l’autre ; une partie de l’air ne serait par en haut ou en bas plus qu’une autre ; il n’y aurait pas, dans une partie de l’air, une vertu qui ne se trouvât pas dans une autre partie ; tout cela, parce que la coordination provenant du Ciel aurait été écartée. De même, dirions-nous, que toutes choses, en ce monde-ci, reçoivent du Ciel leur manière d’être (moderantur a cælo), de même en serait-il dans un autre monde à l’égard du Ciel de cet autre monde ; la terre de cet autre monde ne descendrait donc pas par mouvement naturel au centre de ce monde-ci. »

Buridan revient donc purement et simplement à la doctrine de Godefroid de Fontaines.

C’est de l’enseignement de Jean de Jandun qu’Albert de Saxe paraît s’inspirer. Comme Jean de Jandun, Albert regarde la pluralité des Mondes comme purement impossible selon les principes de la Science physique ; il ne dénie pas à Dieu le pouvoir de créer un autre monde que celui-ci ; mais s’il le

  1. Voir : Cinquième partie ; ch. XI, § VIII, t. VIII, pp. 282-287.
  2. Jean Buridan, loc. cit., fol. 78, col. b et c.