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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Je dis que Dieu peut faire un monde qui serait meilleur que celui-ci et qui ne serait distinct de celui-ci que d’une distinction numérique. La raison en est la suivante : Dieu peut faire une infinité d’individus de même espèce (ratio) que les individus existants aujourd’hui ; il peut donc faire des individus aussi nombreux et même plus nombreux que ceux qui sont maintenant produits, et il peut les faire de même espèce que ceux-ci. Mais ces individus, Dieu n’est pas forcé de les produire dans ce monde-ci ; il les peut produire hors de ce monde-ci et en faire un autre monde tout comme il a composé ce monde-ci des individus déjà produits. »

Cette affirmation, que plusieurs Mondes sont possibles, ne se saurait soutenir si l’on ne ruinait les arguments péripatéticiens qui vont à l’encontre ; Guillaume s’applique donc à les renverser.

Le Stagirite affirmait que les diverses parties d’un même élément tendent toutes et nécessairement vers un lieu naturel unique ; qu’il ne peut donc exister deux mondes dont les centres seraient, pour la terre, deux lieux naturels distincts. Voici ce que le Venerabilis Inceptor lui répond :

« Tous les individus appartenant à un élément de même espèce se mouvront vers un même lieu naturel si on les place successivement, hors de ce lieu, dans une même position ; il n’en résulte pas qu’ils se meuvent toujours vers un même lieu naturel ; il peut se faire qu’ils se meuvent vers deux lieux différents. »

En voici un exemple patent :

« Si l’on place en deux régions différentes de la terre deux feux de même espèce, ils s’élèveront tous deux vers le Ciel, mais ils ne tendront pas vers le même lieu ; ils se mouvront vers deux lieux distincts ; toutefois, si l’on prenait le premier de ces deux feux et qu’on le mît à la place où se trouvait d’abord le second, ce premier feu tendrait vers le lieu où le second tendait précédemment.

« Il en serait de même dans la question qui nous occupe. Si l’on prenait de la terre appartenant à l’autre univers et qu’on la mît en cet univers-ci, elle tendrait au même lieu que la terre de notre univers ; mais lorsqu’elle se trouve hors de cet univers-ci, lorsqu’elle est à l’intérieur de l’autre ciel, elle ne se meut plus vers le centre de notre monde ; pas plus que du feu placé à Oxford ne se meut vers le lieu auquel il tendrait s’il était mis à Paris.

» Ce n’est donc pas simplement parce que ces deux terres