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LA PLURALITÉ DES MONDES

De la part de Jean de Jandun, ce n’était pas là, nous le savons[1], déclaration de circonstance, ni précaution occasionnelle contre la condamnation de 1277 ; c’était corollaire d’un système général sur les rapports de la philosophie péripatéticienne et de la foi catholique.


V
GUILLAUME D’OCKAM ET ROBERT HOLKOT


Ceux qui tiennent pour la possibilité de plusieurs mondes tiennent aussi pour cette opinion : La terre de chacun des mondes tend exclusivement vers le centre du monde auquel elle appartient ; il n’est donc pas à redouter qu’elle tombe au centre d’un autre monde. À quoi les Péripatéticiens répondent : Attribuer à deux terres des lieux naturels différents, c’est leur attribuer des formes substantielles différentes, partant les ranger dans des espèces distinctes.

Contre l’opinion des premiers physiciens, cette objection semble très forte. Mais, bien qu’elle se puisse très certainement autoriser du texte d’Aristote, Ockam va montrer qu’elle implique une conception trop étroite du lieu naturel. Sans doute, des masses de terre qui sont de même espèce doivent avoir un lieu spécifiquement unique ; mais il n’est pas nécessaire que ce lieu soit spécifiquement un, qu’il se réduise à un point unique. Si le Philosophe a cru que le lieu naturel de la terre ne pouvait être qu’un seul point, c’est pour n’avoir considéré, en ce monde-ci, que le mouvement des corps pesants. Il lui eût suffi de porter son attention sur le mouvement du feu pour reconnaître qu’un lieu naturel, spécifiquement unique, peut être formé de parties géométriquement distinctes, et qu’un élément se porte vers telle ou telle de ces parties selon qu’il se trouve en telle ou telle région du Monde. Cette remarque ruinait, au nom d’un Péripatétisme correctement interprété, la principale objection des Péripatéticiens contre la pluralité des Mondes.

Dans son écrit sur les Sentences de Pierre Lombard, Guillaume d’Ockam consacre toute une question[2] au problème de la pluralité des Mondes ; cette pluralité, très fermement il la tient pour possible ; voici ce qu’il affirme :

  1. Voir : Quatrième partie ; ch. VII, § III, t. VI, pp. 560-564.
  2. Magistri Guilhelmi de Ockam Super quatuor libros Sententiarum annotationes. Libri primi Sententiarum dist. XLIV, quæst. unica : Utrum Deus posset facere mundum meliorem isto mundo.