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LA PLURALITÉ DES MONDES

parce qu’il contient la totalité de sa matière. Nous répondrons : Cela conclut bien qu’un autre ciel ne saurait être produit par un agent créé ; l’action d’un tel agent, en effet, présuppose une matière ; il ne peut agir qu’en divisant une matière. Mais cela ne conclut pas qu’un autre ciel ne puisse être produit par un agent incréé dont l’action ne présuppose aucune matière. En dépit donc de cette raison, un autre ciel peut être créé par un agent incréé dont l’action ne présuppose pas une matière mais produit la matière ; un tel être, qui agit par création, peut, en effet, créer la matière et la forme ; dès là qu’il peut agir ainsi, il n’y a plus aucune contradiction à supposer qu’un autre ciel soit produit par création. De même, s’il existait un seul homme qui occupât la totalité de la matière humaine, si, en outre, cet homme ne pouvait engendrer un autre homme, il ne répugnerait pas à cet homme que Dieu créât un autre homme de même espèce, non en divisant la matière [humaine qui existe déjà] dans le premier homme, mais en créant une matière [humaine] nouvelle. Il en est de même dans le cas proposé. »

Voyons maintenant comment Varon répond à cette objection d’Aristote : La terre de l’autre monde, étant de même espèce que la terre de celui-ci, aurait même lieu propre que cette dernière, et devrait donc, par mouvement naturel, se porter au centre de notre Monde.

« Si la terre nouvelle, créée hors de notre Ciel, était de même espèce que la terre contenue par ce Ciel-ci, voici ce qu’il faudrait dire[1] :

» Des corps de même espèce qui sont connexes lesjins aux autres et rassemblés par un même corps enveloppant, ont même lieu naturel ; mais cela n’est plus vrai de corps de même espèce qui ne sont pas connexes entre eux ni réunis sous un même corps. Ainsi, dans deux hommes distincts, les esprits vitaux sont de même espèce ; cependant, ils ont un autre lieu et, pour ainsi dire, un autre domicile dans cet homme-ci et dans celui-là. De même, dans le cas qui nous est proposé, doit-on dire que toute la terre comprise sous notre sphère [céleste] a même lieu naturel ; mais la terre de l’autre monde, n’étant point connexe à la nôtre ni comprise sous la même sphère, ne descend point au centre de notre Monde ; elle trouve son repos en son propre centre. »

  1. Loc. cit., fol. 97, col. c.