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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Guillaume n’a garde d’omettre celle qu’on avait accoutumé, depuis Michel Scot, de tirer de l’impossibilité du vide ; c’est même, de beaucoup, celle contre laquelle il argumente le plus longuement ; nous avons précédemment rapporté ce que sa pensée contient d’essentiel[1]. À cette longue discussion, il donne la conclusion que voici[2] :

« Nous dirons donc que, hors de ce Monde-ci, qui est de figure sphérique, Dieu peut faire un autre monde sphérique qui ne touche celui-ci en aucun point ; il le peut, car cela n’implique pas de contradiction ; de même qu’entre une partie d’un ciel et une partie d’un autre ciel, il peut faire qu’il y ait une distance, pour la même raison peut-il faire que les deux touts soient distants l’un de l’autre selon ce que sa volonté a ordonné ; sa force, d’ailleurs, n’a éprouvé aucune diminution du fait de la création de notre Monde. Avant la création de ce Monde-ci, il n’y avait, ici, absolument rien, et Dieu y a créé ce Monde-ci ; ainsi peut-il faire hors de notre Monde. On peut imaginer, en effet, un espace quasi infini, dans lequel, cependant, il n’y a absolument rien ; et de même que, là où il n’y avait rien, il a créé un premier Monde, il peut, là où il n’y a absolument rien, en créer d’autres dont la multitude soit infinie en puissance ; c’est-à-dire qu’il n’en saurait tant créer qu’il n’en pût créer encore davantage (id est non tot quin plures).

» Ce qui le prouve, c’est que, s’il en était autrement, la création de ce Monde-ci aurait égalé, aurait épuisé toute la puissance de Dieu. La conséquence est fausse, car ce qui est actuellement créé est fini, et rien de fini n’égale la puissance infinie de Dieu Quant au raisonnement, il est évidemment concluant ; en effet, si une source de chaleur ne pouvait produire qu’un seul corps chaud, c’est que la puissance active de cette source serait totalement épuisée par cette production. De même, la production du Fils épuise et vide toute la puissance du Père ; aussi ne peut-il produire qu’un seul Fils ; ici, il en serait de même. »

Varon ne se contente pas de réfuter l’objection tirée de l’impossibilité du vide ; il s’efforce aussi de réduire à néant celles qu’Aristote avait formulées.

« Le Philosophe, dit-il[3], prouve que le Monde est unique

  1. Voir : Cinquième partie ; ch. VIII, § IV, t. VIII, pp. 44-45.
  2. Loc. cit., fol. 96, col. b.
  3. Loc. cit., fol. 97, col. b.