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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Richard ne se contente pas d’admettre que la pluralité des Mondes n’est pas chose contradictoire et donc ne répugne pas à la toute-puissance de Dieu ; il va plus loin ; il entreprend de ruiner la principale objection formulée par Aristote contre cette possibilité.

Quant à l’objection tirée de l’impossibilité du vide, notre auteur ne s’y arrête pas ; il se contente d’indiquer, en passant, que le Monde n’est pas dans l’espace et de nous rappeler cet enseignement du Stagirite : Il n’y a, hors du Ciel, ni lieu ni vide ni temps. D’ailleurs nous l’avons entendu déclarer, en une autre circonstance, que la production du vide n’était pas impossible à Dieu[1].

Sans se rallier aussi formellement à la doctrine de la pluralité des Mondes, Gilles de Rome a soin de ne point contredire à la condamnation de 1277.

Dans son Opus Hexaemeron, il enseigne formellement « que le Ciel et chacune des parties du Ciel est formé de toute sa matière[2]. » Mais voici comment il interprète cette proposition :

« En toute chose perpétuelle, en tant qu’elle est perpétuelle, en toute chose incorruptible, en tant qu’elle est incorruptible, il n’y a pas à distinguer entre ce qu’elle est (esse) et ce qu’elle peut être (posse). Tout ce qui peut être en une telle substance y est en acte. Si une telle substance, en effet, pouvait posséder quelque chose et ne le possédait pas d’une manière actuelle, à l’égard de ce quelque chose, elle ne serait plus perpétuelle, mais sujette à corruption.

» Or le Ciel tout entier et chacune des parties du Ciel peuvent avoir un autre ubi que celui dont ils sont doués à présent… Au sujet de l’ubi, on peut, dans une partie du Ciel, distinguer ce qu’elle est de ce qu’elle peut être… Mais quant à l’essence (esse), il n’y a pas en elle de différence entre être et pouvoir être ; le Ciel et chacune de ses parties ont toute l’essence qu’elles peuvent avoir ; aussi disons-nous communément qu’ils peuvent bien éprouver un changement relatif à l’ubi, mais non pas un changement relatif à l’essence.

» Le Ciel donc comprend toute sa matière et il en est de même de chacune des parties du Ciel ; rien, en effet, ne peut

  1. Voir : Cinquième partie ; ch. VIII, § IV, t. VIII, p. 42.
  2. D. Ægidii Romani Ordinis Fratrum Eremitarum Sancti Auguitini Archiepiscopi Bituricensis Opus hexaemeron. Romæ. Apud Antonium Bladum MDLV Pars I, cap. VIII, fol. 7, col. b.