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LA THÉORIE DES MARÉES

Cette invention fut, en effet, réputée fort belle par maint physicien de l’École ; mais il en était, nous le verrons, qui n’en ignoraient pas le véritable auteur.

Roger Bacon, pour traiter des marées, n’a pas cherché d’autre inspiration que celle de Robert Grosse-Teste ; Pierre d’Auvergne combine l’enseignement de l’Évêque de Lincoln avec celui d’Albert le Grand ; nous le reconnaîtrons aisément en lisant son exposition.

« Bien que toutes les étoiles aient force pour mouvoir les corps d’ici-bas, dit-il[1], le Soleil a cependant une force spéciale pour mouvoir certains corps chauds, tant à cause de la grandeur de son propre corps que de la grande quantité de sa lumière dont le propre est d’échauffer.

» La Lune, au contraire, a une force spéciale pour mouvoir les choses humides, soit en vertu de sa nature propre, soit en vertu de sa proximité et de la passibilité des corps humides. Mais si, par sa force propre, la Lune a le pouvoir de mettre en mouvement la substance humide, il faut concevoir qu’elle a aussi, par la force de la lumière qu’elle reçoit du Soleil, lumière dont le propre est d’échauffer, le pouvoir de communiquer à cette substance humide un mouvement qui la dissocie et la raréfie par l’échaufîement. Le signe en est que l’accroissement de la lumière que la Lune nous envoie s’accompagne d’une augmentation de toutes les choses humides comme les moelles et la cervelle des animaux ; au contraire, lorsque cette lumière décroît toutes ces substances diminuent et se trouvent plus sèches.

» Or la mer n’est pas purement et simplement de l’eau ; elle contient, à l’état de mélange, une bonne part d’une exhalaison [terrestre], chaude et sèche, qui, comme nous le verrons plus loin est la cause qui la rend salée ; partant, la Lune a efficace pour mouvoir la mer par volatilisation (subtiliatio) de cette exhalaison.

» Lors donc que la Lune monte au-dessus [de l’horizon] d’une certaine région, elle projette obliquement ses rayons sur la mer ; elle émeut l’exhalaison qui est mélangée avec l’eau de la mer ; et volatilise cette exhalaison en même temps qu’une partie de l’eau ; elle détermine une sorte d’ébullition qui gonfle

1. Summa Magistrt Petiu de Alvernia Super libris metheororum Aristotelis, lib. II (Bibl. Nat., fonds latins, ms. no 14 722, fol. 102, col. b et c).

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