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LA PLURALITÉ DES MONDES

donne non seulement sa forme, mais tout ce qui résulte de cette forme, il lui donne, en particulier, un mouvement naturel et un lieu naturel qui sont conséquences de la forme intrinsèque. Si donc la proximité ou F éloignement du lieu naturel avait quelque influence sur la forme substantielle de l’élément, il faudrait que cet élément fût composé de deux formes ayant des propriétés opposées ; l’une de ces formes tirerait le corps vers ce qui est le plus voisin ; ce serait une forme émanée du corps attirant, semblable à celle que l’aimant produit dans le fer ; l’autre serait la forme naturelle donnée par le générateur ; sans qu’aucune attraction ait à intervenir, celle-ci déterminerait le mouvement du corps vers son lieu naturel ; elle serait comparable à ce qu’est la forme de pesanteur au sein d’un morceau de fer attiré par l’aimant. Les éléments seraient donc composés ; et tout mouvement d’un tel élément serait composé de deux mouvements distincts, tout comme le mouvement d’une terre qui s’approcherait du centre d’un monde en s’éloignant du centre d’un autre monde...

» La coexistence de deux telles formes est impossible. Il en faut donc conclure qu’un corps peut être plus ou moins éloigné de son lieu naturel sans que sa forme en éprouve aucun changement qu’il soit près ou loin de son lieu naturel, il se meut toujours d’un mouvement simple. »

C’est d’Averroès, et d’Averroès seul, qu’Albert le Grand s’était très fidèlement inspiré ; Guillaume de Mœrbeke n’avait pas encore traduit les commentaires sur le Ilepl OôpavoÜ, composés par Simplicius. Saint Thomas d’Aquin, au contraire, lisait ces commentaires ; l’influence qui en émanait se reconnaît fort souvent en son œuvre ; elle se marque particulièrement ici. Le Docteur Angélique suit l’opinion de Simplicius ; il admet que la distance d’un grave au centre du Monde, sans aller jusqu’à changer l’espèce même de la forme qui porte ce grave à son lieu naturel, peut faire varier l’intensité de cette forme ; il précise même cette opinion en la rapprochant d’une supposition que Simplicius avait, en d’autres circonstances, présentée 1 et mise au compte d’Aristote ; l’accroissement de pesanteur qu’un grave éprouve au fur et à mesure qu’il est plus voisin du centre du Monde causerait l’accélération qui s’observe en la chute d’un poids.

Voici comment s’exprime Saint Thomas 2.

1. Voir : Première partie, ch. VI, § VII î t. I, p. 395. 2. Sancti Thomæ Aquinatis Expositio in libros Aristotelis de Cælo et Mundo ; lib. I, lect. XVI.