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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

extrême. La pesanteur est-elle, comme le voulaient les Pythagoriciens, comme renseignait le Timée, l’effet d’une attraction élective, d’une sympathie qui s’efforce de réunir en un seul tout les fragments séparés d’un même élément ? Est-elle, selon la doctrine péripatéticienne, une tendance par laquelle la forme du grave cherche à parvenir au lieu où elle atteindra sa perfection ?

L’importance du principal argument d’Aristote contre la pluralité des Mondes n’a point échappé à l’attention d’Albert le Grand ni de Saint Thomas d’Aquin, bien que le maître et le disciple aient, à son endroit, pris des attitudes fort différentes.

Albert le Grand suit de très près le commentaire d’Averroès ; citons un passage de sa longue exposition[1] :

« Peut-être quelque contradicteur prétendra-t-il que la nature des corps élémentaires, lorsque ces corps sont situés dans des mondes différents, se trouve modifiée par suite de la distance plus ou moins grande qui les sépare de leurs lieux naturels ; par exemple, de la terre, placée hors de notre Monde, est éloignée du centre de ce Monde et rapprochée du centre de l’autre ; elle est donc influencée par la nature de ce dernier centre et non par la nature du premier, en sorte qu’elle se meut vers le dernier centre et non vers le premier ; ainsi voyons-nous que l’aimant attire un morceau de fer voisin, parce que celui-ci acquiert une certaine propriété provenant de la pierre attirante ; mais Faimant n’attire pas un morceau de fer éloigné, car la vertu de la pierre ne parvient pas jusqu’à ce morceau de fer.

» Nous répondrons que ce discours n’est pas conforme aux règles de la raison et qu’il est, par conséquent, erroné. Le mouvement des éléments n’est pas l’effet d’une attraction, car si les éléments se mouvaient par attraction, chacun d’eux serait attiré par son semblable, en sorte que si l’on plaçait une plus grande terre au-dessus d’une terre plus petite, celle-ci monterait nécessairement vers celle-là. Ainsi donc un mouvement qui dépend de la proximité ou de l’éloignement est un mouvement produit par un moteur extrinsèque ; mais le mouvement des éléments est dû à un moteur intrinsèque.

» Nous avons dit, en effet, au huitième livre des Physiques : Quand un élément est engendré, l’agent qui l’engendre lui

  1. Alberti Magni De Cælo et Mundo liber primus, tract. I, Inquo subtilissime habetur utrum mundus sit unus vel plures ; cap. II : De contradictione eorum qui dicunt elementa diversorum mundorum moveri ad eamdem mundum.