Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

heurte à des bornes, mais parce qu’une telle œuvre impliquerait contradiction.

Bacon avait lu Michel Scot qu’il tient en mince estime ; il avait étudié à Paris sous le pontificat de Guillaume d’Auvergne ; on ne s’étonne pas de reconnaître en sa pensée un reflet de la pensée de ces deux auteurs.

Dans son Opus majus, Bacon consacre un chapitre[1] à l’examen de ces deux questions : Peut-il exister plusieurs mondes ? La matière du Monde est-elle infinie ? Il écrit, en ce chapitre :

« Aristote dit, au premier livre Du Ciel et du Monde, que le Monde réunit toute sa matière propre en un seul individu d’une seule espèce, et qu’il en est de même de chacun des corps principaux dont le Monde se compose ; en sorte que le Monde est numériquement unique, qu’il ne peut exister plusieurs mondes distincts appartenant à cette même espèce, et qu’il ne peut davantage exister ni plusieurs soleils, ni plusieurs lunes, bien que beaucoup de gens aient imaginé de telles suppositions. »

Aristote, en effet, à la fin de son argumentation contre la pluralité des Mondes, avait écrit : « Le Monde, pris en sa totalité, est formé de toute la matière qui lui est propre. — Ἑξ ἀπάσης γάρ ἐστι τῆς οἰκείας ὕλης ὁ πᾶς Κόσμος. » De cette pensée, Bacon nous donne un commentaire très exact ; dans une même espèce, des individus sont numériquement distincts, au gré du Péripatétisme, lorsque la forme qui leur est commune affecte, en chacun d’eux, des parties différentes de la matière ; si, dans un individu, la forme est unie à toute la matière capable de recevoir cette forme, cet individu est nécessairement unique en son espèce ; ainsi en est-il, si nous en croyons Aristote, non seulement du Monde entier, mais de chacun des astres et de chacun des orbes célestes ; c’est, dans la doctrine aristotélicienne de l’unité du Monde, une proposition essentielle ; c’est une de celles que, bientôt, la Scolastique chrétienne va nier avec le plus de fermeté.

Après avoir rapporté et commenté cette proposition du Stagirite, Bacon, dans son Opus majus, tire de l’impossibilité du vide, la preuve qu’il ne peut exister plusieurs mondes sphériques extérieurs les uns aux autres.

Dans l’Opus tertium, notre auteur se contente de reprendre

  1. Fratris Rogeri Bacon Opus majus, pars IV, dist. IV, cap. XII : An possint esse plures mundt et an materia mundi sit extensa in infinltum ; éd, Jebb, p. 102 (marquée, par erreur, 98) ; éd. Bridges (cap. XIII), vol. I, pp. 164-165.