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LA PLURALITÉ DES MONDES

une infinité de mondes, ou bien il en a créé un nombre fini ; si le nombre des mondes est supposé fini, un seul grand monde peut contenir autant de choses que beaucoup de petits mondes, et la création de ce monde unique convient mieux à la majesté de Dieu. L’Évêque de Paris oublie, dans sa discussion, la seconde branche du dilemme qu’il a posé.

Cette difficulté n’est pas la seule ; en voici une autre[1] :

« Dieu a créé ce Monde par pure et gratuite bonté ; tout aussi facilement, il en aurait pu créer un grand nombre d’autres ; donc il les a créés ; la cause qui lui en a fait créer un, et qui est sa bonté, devra, pour la même raison, lui en faire créer un grand nombre d’autres…

» Sa générosité n’a pas de fin et ses richesses n’en ont pas davantage ; comment donc l’effet de sa générosité et de ses richesses, savoir ses libéralités et ses dons, aurait-il un terme ? Or ce monde-ci c’est fini ; [s’il existe seul], les libéralités et les dons de Dieu sont finis ; la générosité divine est rétrécie et restreinte…

» Vous voyez que ce raisonnement paraît conclure non seulement contre la création d’un monde unique, mais encore contre la création d’un nombre fini de mondes ; lors même que des mondes, en nombre quelconque, seraient créés, ils n’égaleraient jamais la bonté et la générosité de Dieu, car toute chose qui existe hors de Dieu, bien loin de lui être égale, n’est rien en comparaison de lui.

» Je déclare donc que Dieu n’a pu créer ni un nombre infini ni une infinité de mondes, et qu’il ne peut pas davantage les créer actuellement ; cette impossibilité n’a pas pour cause un défaut de puissance en Dieu ou un défaut qui provienne de Dieu, mais plutôt un défaut de la part des mondes, qui ne peuvent pas être multiples, comme je vous l’ai démontré dans ce qui précède… De même, Dieu ne connaît pas le rapport de la diagonale du carré au côté, non qu’il y ait en lui défaut de science, mais parce que ce rapport ne peut être connu. »

Les impossibilités que la Physique péripatéticienne découvre dans l’hypothèse de la pluralité des Mondes sont assimilées par Guillaume à des absurdités mathématiques ; Dieu ne peut créer plusieurs mondes, non pas que sa toute-puissance se

  1. Guillelmi Parisiensis Op. laud., pars cît., cap. XVI ; éd. 1516, fol. c, col. a et b.