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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Bacon se propose donc de faire ce qu’Albumasar n’a pointait ; or, ce qu’il n’a pas trouvé dans l’Introductorium de l’astrologue arabe, il le demande à Robert Grosse-Teste ; il reproduit si fidèlement la théorie de celui-ci que des membres de phrase du Tractatus de natura locorum passent sans aucune modification dans l’Opus majus.

« Albumasar dit que la Lune produit, en même temps, des effets tout semblables dans deux quartiers opposés du Monde, et tous les autres, en cela, s’accordent avec lui… Mais, de cette vérité, ils ne donnent pas la cause ; ils se contentent de dire que la Lune produit un effet semblable dans les deux quartiers opposés. Mais comment la Lune peut elle opérer là où elle n’est pas ? Et n’est-il pas certain que ses rayons ne traversent pas la terre ?

» La propagation avec réflexion (multiplicatio reflexa) nous vient ici en aide. Il n’est pas douteux que le ciel des étoiles fixes ou que le neuvième ciel ne soit dense en son entier, car notre vue s’arrête à l’un ou à l’autre de ces cieuxor un corps dense peut seul borner notre vue. Lorsque la Lune se trouve en un des quartiers du Monde, ses rayons se propagent jusqu’à celui de ces cieux qui est dense, et ils se réfléchissent vers le quartier opposé ; dans l’un des quartiers, donc, c’est la vertu directe de la Lune qui opère, et c’en est la réflexion qui opère, en même temps, dans le quartier opposé. »

Il n’est pas besoin d’avoir un long commerce avec Roger Bacon pour reconnaître que sa vanité est extrêmement développée et qu’il aime à vanter les inventions qu’il a faites, voire celles qu’il s’attribue sans les avoir faites ; nous en trouvons ici un saisissant exemple ; ce que notre auteur a écrit au sujet des marées est tiré presque textuellement des Opuscules de Robert Grosse-Teste ; il n’hésite pas cependant à s’en faire gloire comme s’il en était l’auteur.

« J’ai expliqué, écrit-il au pape Clément IV, un des plus fameux, des plus grands et des plus difficiles effets qui se rencontrent en la réalité, je veux dire le flux et le reflux de la mer ; je lui ai assigné comme cause la propagation des rayons de la Lune suivant certaines lignes et certains angles, et les réflexions de ces rayons ; on trouve là une très belle discussion, d’une science que le vulgaire ignore entièrement ; vous pourrez avoir, à ce sujet, une belle conversation avec tout savant. »

1. Fr. Rogeri Bacon Opus iertium, cap. XXXVII ; éd. Brewer, p. 120.