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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Très catégoriquement, à cette question, Aristote avait répondu : Non[1]. Imaginons, en effet, qu’en dehors de notre Monde, il existe un second Monde ayant, en son centre, une terre de même espèce que celle-ci. Cette terre aura son lieu naturel au centre de son Monde, comme notre terre l’a au centre de notre Monde. Mais cette seconde terre, étant de même espèce que la nôtre, aura également son lieu propre au centre de notre Monde. Voilà donc cette terre pourvue de deux lieux propres vers lesquels elle est également, par nature, tenue de se porter ; c’est là une supposition absurde.

À l’objection soulevée par Aristote, une intelligence façonnée par la Physique moderne propose aussitôt une réponse : Évidemment, dit-elle, cette terre tend avec plus de force à se rendre au centre dont elle est voisine qu’au centre dont elle est éloignée ; c’est donc vers celui-là, et non vers celui-ci, qu’elle se portera sans aucune hésitation ; c’est seulement dans le cas où elle serait placée à égale distance des deux centres qu’elle demeurerait en équilibre instable.

Une telle réponse implique cet axiome : La force par laquelle une masse de terre tend au centre du Monde, qui est son lieu propre, varie avec sa distance à ce centre ; elle diminue lorsque cette distance vient à croître. Or un tel axiome eût-il été reçu par Aristote ? C’est fort douteux.

Simplicius l’a regardé comme valable[2] ; il s’est efforcé, cependant, de détruire l’effîcacité de la riposte qu’on en pouvait tirer contre l’argument d’Aristote ; mais Averroès semble avoir été plus fidèle interprète de la pensée du Stagirite[3] lorsqu’il a soutenu cette proposition : La proximité et l’éloignement n’ont aucune influence sur le mouvement d’un grave vers son lieu propre.

Sans insister sur les deux doctrines opposées de Simplicius et d’Averroès, que nous avons jadis examinées, bornons-nous à remarquer qu’elles posaient aux maîtres de la Scolastique cet important problème : Le poids d’un grave dépend-il, oui ou non, de la distance de ce grave au centre du Monde ?

Cependant, ce n’est pas à ce problème que s’attachèrent, tout d’abord, les auteurs du xiiie siècle qui disputèrent les premiers touchant la pluralité des Mondes ; qu’il ne pût exister plusieurs

  1. Voir : Première partie, ch. IV, § XVI ; t. I. pp. 203-234.
  2. Voir : Première partie, ch. IV, § XVI ; t. I. pp. 203-234.
  3. Ibid., pp. 236-239.