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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

conséquence d’un déplacement très lent du globe terrestre, cette pensée, disons-nous, s’était, bien avant le temps de Copernic, offerte à l’esprit d’un physicien parisien du xive siècle, de celui-là même qui s’était montré le plus rebelle à l’hypothèse de la rotation diurne de la terre ; nous avons nommé Albert de Saxe.

Albert de Saxe vient d’examiner[1] si la huitième sphère, celle des étoiles fixes, se meut ou non de plusieurs mouvements ; il poursuit en ces termes :

« On peut, d’une autre façon, soutenir qu’il n’y a que huit orbes, ceux que nous avons désignés, et que la huitième sphère ne se meut point de plusieurs mouvements ; si elle paraît se mouvoir de plusieurs mouvements, voici d’où cela provient : Tandis que la huitième sphère se meut d’Orient en Occident sur les pôles du Monde, la terre elle-même, pendant ce temps, se meut d’Orient en Occident autour d’une ligne purement conçue qui se termine aux pôles du Zodiaque ; ce mouvement est de grandeur telle qu’en cent ans, la terre, par ce mouvement, ne se meut que d’un degré.

» Mais, me dira-t-on, comment sauvez-vous ce mouvement d’accès et de recès de la huitième sphère que Thâbit a imaginé ? Je réponds que ce mouvement pourrait être sauvé, lui aussi, par un autre mouvement de la terre, imaginé à la ressemblance de celui que Thâbith a conçu comme accompli par la huitième sphère.

» Nous dirions donc qu’à cause de ce double mouvement de la terre, la huitième sphère paraît, en outre du mouvement diurne d’Orient en Occident, se mouvoir de deux mouvements, savoir, le mouvement par lequel elle semble se mouvoir, d’Occident en Orient, d’un degré en cent ans, et cet autre mouvement que Thâbith nomme mouvement d’accès et de recès. Et cependant, la huitième sphère ne se mouvrait que d’un seul mouvement simple, le mouvement d’Orient en Occident.

» Cette supposition, toutefois, ne paraît pas absolument sûre, car on ne voit pas, au premier abord, ce qui donnerait à la terre un tel mouvement. Cependant, peut-être celui qui s’efforcerait à la défense de cette opinion pourrait-il aisément concevoir un moyen d’échapper à cette difficulté et découvrir plusieurs raisons qui donneraient à la dite opinion une forte teinte de vraisemblance. »

  1. Quæstiones subtilissimæ Alberti de Saxonia in libros de Cælo et Mundo ; lib. Il, quæst. VI : De numero sphærarum utrum suit octo vel novem vel plures vel pandores.