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LA THÉORIE DES MARÉES

est fausse ; car certaines constellations se trouvent dans un des quartiers du Monde qui ne se trouvent pas dans l’autre ; en outre lorsqu’un astre errant se trouve dans un des quartiers, du Monde, entre cet astre et l’autre quartier, la terre est interposée. En second lieu, lors même qu’elle serait vraie, elle impliquerait pétition de principe ; il faudrait assigner, en effet, la cause en vertu de laquelle les quartiers opposés sont de même composition et, partant, de même effet.

» Je dis donc que la réflexion des rayons nous donne la solution de cette difficulté. Les rayons lunaires, en effet, se propagent jusqu’au ciel des étoiles fixes ; or ce ciel est un corps dense, car nous ne pouvons apercevoir au travers le ciel [suprême], bien que celui-ci soit très lumineux comme le disent Al Bitrogo (Albitragius) et Messahalla ; les rayons lunaires, réfléchis par le ciel des étoiles fixes, tombent sous des angles égaux sur le quartier opposé [à celui où se trouve la Lune]. »

Robert Grosse-Teste montre alors comment on peut, soit au moyen d’un miroir concave, soit au moyen d’un vase sphérique plein d’eau former une image réelle du Soleil. Bien qu’il l’ait énoncée avec la concision qu’il affectionne, l’hypothèse qu’il a conçue s’aperçoit très clairement ; lorsque la Lune se trouve au-dessus d’un hémisphère de la Terre, les rayons de cet astre, réfléchis par le ciel des étoiles fixes, forment une image réelle de la Lune au-dessus de l’autre hémisphère terrestre, et cette image réelle a, sur eaux de la mer, la même action que la Lune elle-même.

Cette hypothèse de l’Évêque de Lincoln reçut un accueil très favorable de la part de nombreux physiciens du Moyen Âge et, en premier lieu, de Roger Bacon. Celui-ci écrit dans son Opus majus[1] :

« Albumasar, dans l’Introductorium majus Astronomiæ, détermine toutes les diversités du flux et du reflux ; il dit ce qui advient chaque jour et chaque nuit selon que la Lune se trouve en telle ou telle partie de son cercle, en telle ou telle position à l’égard du Soleil. Mais, de tout cela, il ne nous donne pas la cause ; il nous dit seulement que la Lune en est cause, qu’il y a flux quand la Lune est en tel lieu ; reflux quand la Lune est en tel autre lieu. »

1. Fr. Rogeri Bacon Opus majus, pars IV, dist. IV, cap. VI : In quo datur causa fluxus et refluxus maris per radios ; éd. Jebb, pp. 85-86 ; éd. Bridges, vol. I, pp. 139-142.

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