Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
354
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

autre chose que ce mouvement même, dont, par conséquent, le mouvement est la perfection finale, pour de tels corps, dis-je, il est plus parfait de se mouvoir que de rester en repos ; ainsi en est-il des corps célestes.

» Enfin la dernière persuasion dit : Il est plus facile de mouvoir un petit mobile, etc. C’est vrai, peut-on dire, toutes choses égales d’ailleurs. Mais ici, il n’est est pas ainsi ; les corps pesants, les corps terrestres manquent d’aptitude au mouvement ; aussi voit-on clairement qu’il est plus facile de mouvoir l’eau que la terre, et plus facile encore de mouvoir l’air ; cette progession se poursuit au fur et à mesure qu’on s’élève, en sorte que les corps célestes sont, en vertu de leurs natures, très aisés à mouvoir. »

Buridan n’était pas seulement le contemporain de Nicole Oresme et son collègue à l’Université de Paris ; il entretenait avec lui, nous le savons[1], des relations au cours desquelles le maître picard et le maître normand échangeaient des pensées sur des questions de Physique ; nous ne saurions donc nous étonner que Buridan ait connu l’admirable exposé de l’hypothèse de la rotation terrestre qu’Oresme avait donné et qu’il l’ait analysé avec grand soin ; mais nous pouvons regretter que cette discussion, menée avec tant d’art, n’ait pas fait pencher son adhésion en faveur du mouvement de la terre. Buridan qui si souvent, et en des sujets de si grande importance, s’était soustrait à l’emprise du Péripatétisme, s’est, ici, pleinement abandonné à cette emprise. Dans ses ripostes à Nicole Oresme, il s’est montré si jaloux de se conformer à la pensée d’Aristote, qu’il en est venu à méconnaître sa propre pensée. C’est ainsi que des substances séparées qui meuvent les Cieux, il parle en péripatéticien ou en néoplatonicien fidèle, oubliant qu’il a proposé ljii-même, et à maintes reprises, de délaisser ces intelligences, d’attribuer le mouvement des orbes célestes à Yimpetus que Dieu leur a communiqué au moment de la création.

La tyrannie que la doctrine aristotélicienne exerçait sur les esprits était si puissante et, en même temps, elle gouvernait si minutieusement jusqu’au moindre détail de la science, que le plus audacieux génie ne parvenait jamais à lui échapper entièrement ; s’il réussissait ici à secouer le joug, c’était pour retomber, là, dans la servitude ; si la pensée est arrivée à

  1. Voir : Deuxième partie ; ch. IX, § VI, t. IV, p. 127.