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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

circulaire, car un corps simple n’a droit, par nature, qu’à un seul mouvement simple. Et qu’on n’aille pas dire que la terre est ainsi mue en dehors de sa nature ou par violence ; cela ne serait pas raisonnable, car un tel mouvement ne serait pas perpétuel, et l’on ne verrait pas bien, d’ailleurs, quelle violence produit cet effet. »

À ce propos, le R. P. J. Bulliot fait, très judicieusement, la remarque suivante[1] :

« Ici, Buridan aurait sans doute conclu tout autrement s’il avait su utiliser et la loi d’inertie et la possibilité d’une impulsion primitive donnée par Dieu, qu’il a lui-même si clairement formulée dans les passages suivants de sa Physique[2] : « Tandis que le moteur meut le mobile, il lui imprime un certain impetus, une certaine puissance capable de mouvoir ce mobile dans la direction même où le moteur meut le mobile, que ce soit vers le bas, ou vers le haut, ou de côté, ou circulairement… On pourrait dire que Dieu, lorsqu’il a créé le Monde, a mû comme il lui a plu chacun des orbes célestes ; il a imprimé à chacun d’eux un impetus qui le meut depuis lors… Ces impetus, que Dieu a imprimés aux corps célestes, ne sont pas affaiblis ni détruits par la suite du temps, parce qu’il n’y avait, en ces corps célestes, aucune inclination vers d’autres mouvements, et qu’il ne s’y trouve non plus aucune résistance qui pût corrompre ou réprimer ces impetus. »

L’exemple d’Oresme eût pu conduire Buridan à répéter de la terre ce que nous venons de lui entendre dire des orbes célestes. Oresme, en effet, n’hésite pas à assimiler la rotation de la terre à la révolution des corps célestes ; de tous ces mouvements qui s’accomplissent autour du centre du Monde, le mouvement de la terre est simplement le plus prompt. Le Chanoine de Rouen partageait, d’ailleurs, l’opinion de Buridan touchant la cause qui maintient les Cieux en perpétuel mouvement[3].

Mais le physicien picard nous a dit la raison pour laquelle il ne lui est pas permis d’appliquer à la terre ce qu’il a pensé du mouvement des orbes célestes. L’impetus communiqué par Dieu à une sphère céleste persiste indéfiniment sans jamais s’affaiblir « parce qu’il n’y a, dans ce corps, aucune inclination vers d’autres mouvements. » Les diverses parties de la

  1. J. Bulliot, loc, cit., p. 17, note 3.
  2. Voir : Cinquième partie ; ch, X, § VI, p. 205 et ch. XII, § II, p. 336.
  3. Voir : Cinquième partie ; ch. XII, § III, pp. 342-345.